Nombre de nos mythiques salles de concerts ont disparu. Elles n’en ont pas moins laissé des traces. Anecdotes, coups de cour… En route, pour ce sixième épisode de notre série d’été, pour un petit pèlerinage à travers les temples du rock en Belgique qui ont permis l’émergence de grands groupes, tel dEUS.

Il n’a rien d’un pasteur mais Eddy Verhaegen travaille dans un temple. Comme dit le Larousse, « un lieu privilégié fréquenté par des connaisseurs ». Eddy vend, se passionne, conseille au Caroline Music, l’un des derniers disquaires indépendants de Bruxelles. Depuis qu’il a 14 ans (51 à l’heure actuelle), le Bruxellois écume tout ce que la capitale de l’Europe tient pour salles de concerts. Des Edens à l’existence parfois fugace. Eddy a vécu son premier gig place Flagey, au Marni. « A l’époque, Robert Charlebois était très rock’n’roll. Un contestataire », tient-il à justifier. Le Marni a été bâti peu de temps après la Seconde Guerre mondiale, c’était un ancien cinéma de quartier, l’un des plus grands de Bruxelles avec ses 1 700 places. « Il a accueilli Lou Reed, Roxy Music (1973) et reste à mes yeux associé aux débuts du glam », poursuit-il.

La ferme V, à Woluwe Saint-Lambert, restera elle la première date (le 7 mars 1971) de Genesis hors d’Angleterre. Piero Kenroll avait même hébergé le groupe de Peter Gabriel. C’était une autre époque.  » Londres était le bout du monde. La Belgique en général, Bruxelles en particulier, constituaient pour beaucoup d’Anglais le premier contact avec le Vieux Continent. Une question de géographie… »

Le toujours pétillant Jo Dekmine ne s’est jamais soucié des frontières. Dès la fin des années 60, son Théâtre 140 a vu défiler les Kinks, Pink Floyd, Black Sabbath. Il a ensuite ouvert ses portes aux Pretty Things, aux New York Dolls, aux Ramones, à Ian Dury, Père Ubu et Blondie.

NO FUTURE

Ceux qui y ont suivi des cours interminables et ennuyeux, ramé sur de pénibles examens doivent avoir du mal à l’imaginer: l’auditoire Paul Emile Janson de l’ULB a attiré la crème de la scène new-yorkaise. De Patti Smith à Television en passant par les Talking Heads et Blondie.  » Le Janson a vibré pendant les années punk, commente Eddy . Le rock, c’était le langage de l’époque. Les jeunes communiquaient à travers la musique. On était déjà dans l’ambiance dès qu’on montait dans le tram. J’associe encore et toujours au Janson l’image de la foule bloquant le boulevard pour suivre Alan Stivell parti terminer son concert dans un parc voisin. »

Même si aujourd’hui des tas de mélomanes ne daignent plus y mettre les pieds et y tendre l’oreille, Forest National reste une salle mythique inaugurée en 1971. Eddy se souvient comme s’il datait d’hier du premier concert qu’y a donné Genesis, en 1974. « Télémoustique parrainait l’événement et était distribué à l’entrée. Cela n’a pas manqué. Privé de rappel, le public a balancé 4 000 ou 5 000 exemplaires du magazine sur scène. » Sans rater le gong des Anglais qui apparemment coûtait très cher à accorder.  » Pour Supertramp, il y avait autant de fumée de cigarettes que de fumigène. Et pour Gainsbourg, tellement de monde que les gens à l’étage, incapables de descendre, urinaient contre les murs.  » Des anecdotes qui donnent un peu d’âme à un endroit éminemment impersonnel.

Plus petit, plus sympa, le Rockin’ Club, dans les caves de Forest, n’a tenu que quelques mois. C’était du temps du punk, des concours de crachats. L’idée? Organiser un concert chaque soir.  » La police a fait fermer les lieux le jour où devait jouer The Clash. Non pas qu’elle redoutait une émeute, mais parce que Forest craignait que les roadies abîment les escaliers en descendant le matériel. » Encore une histoire bien belge.

NOUVELLES VIES

Le Vieux Saint-Job était une vieille ferme transformée en café, une espèce de salle des fêtes rustique qui a vu défiler XTC, les Talking Heads… Le Klacik a succédé à une ancienne boîte de nuit. Il a invité les Cure, OMD et autre Fad Gadget.  » C’était la période new wave. » Ou encore Gang of Four, les Undertones et les Cramps.

Eddy, lui, a toujours eu un faible pour les endroits qui faisaient preuve d’un réel esprit d’ouverture. Le Beursschouwburg, par exemple:  » Petit théâtre baroque avec ses balcons, dans l’esprit des Folies bergères, il avait une autre dimension qu’aujourd’hui. » Notre homme avait surtout craqué pour le Plan K. Cette ancienne raffinerie où se sont produits des tas de groupes de la Factory mancunienne et qui était installée (ça ne s’invente pas) rue de Manchester, à Anderlecht.  » Au Plan K, vous pouviez manger un morceau, boire un verre, visiter une expo, voir un film, écouter un concert… On organisait aussi des soirées à thème. Je me souviens d’une fête Côte d’Azur où l’on vous aspergeait de lavande à l’entrée. Ou encore d’une soirée vampire ponctuée sur le coup de minuit par un concert de Bauhaus. »

La plupart de ces salles ont disparu ou du moins ont changé d’affectation. Ainsi, la Madeleine qui a, en son temps, accueilli Zappa, est devenu un casino. La Gaité s’est transformée en magasin de disques, puis de vêtements et maintenant en Maison des cultures maroco-flamande. Plus récemment, c’est le Magasin 4 qui a fermé ses portes. Le propriétaire du bâtiment voulant y aménager des lofts.

NO FUN?

Dans le temps, peu de gros concerts se passaient hors de Bruxelles. Beaucoup d’amateurs ont trouvé leur compte dans les maisons de jeunes et autres salles paroissiales.  » Kiss, par exemple, s’est arrêté à Harelbeke. Avertis que les Américains aimaient jouer avec le feu, les pompiers avaient d’ailleurs dépêché cinq camions sur les lieux« , commente Eddy. Il a aussi connu le vieux Sportpaleis, à Anvers.  » Les concerts avaient lieu au milieu d’une piste cycliste. Plutôt surréaliste. »

Espèce de bunker sans âme, le Brielpoort de Deinze n’a pas laissé un souvenir impérissable aux oreilles délicates et aux naseaux sensibles.  » Des hamburgers et des frites étaient cuits et vendus dans la salle« , se rappelle notre guide.

Avec ses balcons, sa façade arrière au bord de l’eau, le Vooruit, à Gand, a toujours eu davantage de cachet. Il a aussi ses légendes, ses anecdotes. Naked City aurait joué tellement fort que les vitres du bâtiment ont explosé. Les Happy Mondays, eux, ont eu droit à une alerte à la bombe.  » On nous a demandé d’évacuer, se rappelle Eddy. Le concert a commencé avec quelques heures de retard. Le groupe des frères Ryder était déjà bien pété comme d’habitude mais ce soir-là, on avait l’impression en voyant Bez (percussionniste et danseur) de regarder un film en accéléré. Il paraît aussi que les Pogues ont laissé les loges dans un état indescriptible. Que Shane MacGowan s’est écroulé devant le micro et n’a pas chanté. »

A Bruxelles, pour boucler la boucle, Le Botanique, son Orangerie, sa Rotonde et son Cirque royal sont aujourd’hui, avec l’Ancienne Belgique et, nettement plus underground, le Recyclart, les temples du live. Vous y avez sans doute déjà pointé l’oreille.

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TEXTE JULIEN BROQUET I

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