Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

BOUTIQUE DE SOUVENIRS – DANS SON DERNIER ROMAN, LE BADIN DAVID FOENKINOS S’ATTACHE À UN SUJET LITTÉRAIRE HAUTEMENT INFLAMMABLE. MAIS PEINE À L’ÉTINCELLE…

DE DAVID FOENKINOS, ÉDITIONS GALLIMARD, 272 PAGES.

David Foenkinos est un garçon charmant. Dix ans déjà que le Parisien trimballe son univers léger, plaisant, remarqué dès Le Potentiel érotique de ma femme en 2004. Après Nos Séparations et La Délicatesse le voici poursuivant avec Les Souvenirs une entreprise romanesque abonnée aux titres serrés. Où l’on suit les petites histoires d’un jeune homme aux velléités d’écrivain qui perd son grand-père avant de voir sa grand-mère placée en maison de retraite, puis ses propres parents se déchirer après 30 ans de mariage. La vieillesse, la mort, le deuil, la séparation. Enfilement de sujets graves, denses, intenses. Un chapelet qui a directement conduit son auteur dans les petits papiers d’une critique française s’époumonant sur l’accession à maturité d’un auteur, le propulsant de fait sur la private list des goncourisables. De quoi étonner. Là où il aurait peut-être pu risquer son écriture en territoires escarpés, il semble bien que Foenkinos continue à faire du Foenkinos. Et qu’il rempile ce petit côté Amélie Poulain délibéré (le héros enlève sa grand-mère pour lui faire rencontrer le vieux peintre des tableaux de la maison de retraite), quitte à percuter le grotesque (la fugue en Normandie). Son style, candide, mignon, un peu lisse, n’a pas changé lui non plus. Grave ou pas, Foenkinos sculpte son récit à coups de formules bien ordonnées. Et si certaines se détachent (« Il y a un âge où les seules sorties qu’on accepte sont les enterrements », « Et puis, comme il y a toujours des blancs dans la conversation, au bout d’un moment, les vieux ont la gentillesse d’avouer avoir mal quelque part »), d’autres se fondent dans le grand bain du consensuelo-pathétique (« Mon enfance est une boîte de souvenirs », « Est-ce qu’on s’habitue jamais aux souffrances? », « J’avais toujours eu l’impression que les parents ne pouvaient pas pleurer »). On en arrive aux limites du livre: quand la joliesse, la beauté forcée de tendres coïncidences viennent frôler un sujet aussi violent, aussi viscéral, aussi littéraire que la déchéance, la culpabilité, l’intolérable, l’abandon. Ainsi de cette déclaration du héros à la mort de sa grand-mère: « Cela me paraissait fou que son corps soit subitement vide de vie… Et je trouvais choquant de ne pouvoir remédier à cette tragédie.  » On touche là à l’étroitesse de la vie intérieure d’un protagoniste décidément glabre de ces ambiguïtés qui travaillent les grands romans. Par une succession de pirouettes, Foenkinos nous aura entre-temps emmené, de-ci de-là, feuilleter un catalogue d’autres souvenirs que les siens, ceux d’anonymes ou de people (Gainsbourg, Modiano, Lelouch…), un peu grossièrement cousus au corps de son propre texte. Comme un aveu d’insuffisance?

Dimanche soir

Le roman vient se clore -ultime et évitable coquetterie- sur le mythe romantique d’une vocation d’écrivain comme un appel céleste: « Je me souviens du jour où quelque chose s’est débloqué en moi. (…) Tout est venu d’une manière organisée dans ma tête, et je me souviens d’avoir pensé: c’est le moment.  » On referme Les Souvenirs comme on s’éveille d’un de ces téléfilms programmés en bout de week-end: doucement émouvants, profondément gentils, qui évitent de faire trop de vagues à la veille du lundi matin… David Foenkinos est un garçon charmant, c’est déjà ça. Reste que parfois, ça ne suffit pas.

YSALINE PARISIS

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