DANS SON PETIT LIVRE BLEU, ANTOINE BUÉNO ÉTUDIE LA SOCIÉTÉ DES LUTINS DE PEYO QU’IL QUALIFIE DE MACHISTE ET PRÉSENTE COMME UN ARCHÉTYPE D’UTOPIE TOTALITAIRE EMPREINT DE STALINISME ET DE NAZISME. UN DÉCRYPTAGE PLEIN D’AUTODÉRISION.

Les Schtroumpfs sont gays. Les Schtroumpfs sont hippies. Les Schtroumpfs sont racistes. Les Schtroumpfs sont franc-maçons. Les Schtroumpfs appartiennent au Ku Klux Klan. Comme l’écrit Antoine Buéno dans l’avant-propos de son Petit livre bleu, Peyo a tout entendu sur ses petits personnages vivant dans des champignons. Selon l’écrivain, chroniqueur, maître de conférence à sciences po, qui s’est livré avec un esprit bien décalé à une analyse critique et politique de leur société, le monde des Schtroumpfs semble un archétype d’utopie totalitaire empreinte de stalinisme et de nazisme. Un univers réactionnaire misogyne et phallocrate.

Attaquons avec quelques extraits sommaires.  » Sans avoir l’air d’y toucher, les Schtroumpfs triment comme des forçats. (…)Sans rien posséder en propre ni être rémunéré, chacun remplit son rôle au sein de la société, en accomplissant des tâches bien précises dans l’intérêt de la communauté.  »  » La communauté des Schtroumpfs pourrait être assimilée à une unité de production soviétique, kolkhoze ou sovkhoze. À moins de le considérer comme un goulag, c’est-à-dire un camp de travail.  »  » Dès les 2 premières BD, l’essentiel d’un décor raciste est planté: idéalisation de la blondeur aryenne (celle de la Schtroumpfette, ndlr) , rejet du brun comme laid, conception du Noir comme dégénéré.  »

Buéno fait même remarquer qu’imaginée en 1966 sur le modèle de Brigitte Bardot à l’époque de sa grande gloire, la seule fille du pays des Schtroumpfs est un petit bijou de stéréotype.  » Dès son apparition, elle se révèle exaspérante. C’est un véritable moulin à paroles. Elle est concon, cucul, superficielle, capricieuse, séductrice, manipulatrice, curieuse comme une vieille chatte, incapable de raconter correctement une histoire drôle ou de faire un plat sans l’oublier sur le feu…  »

Menaces de mort

Les réactions se font plutôt virulentes. Buéno est considéré par les uns comme un abruti. Par les autres comme un escroc. Les fascistes français l’accusent d’être un Juif caché qui poursuit le travail de destruction du pays… L’auteur a même reçu des menaces de mort par e-mail.  » La violence des retours vient, je pense, d’une incompréhension de la démarche. D’un amalgame avec des polémiques comme celles qui ont frappé Hergé et Tintin au Congo . Il y a aussi évidemment le côté affectif. Touche pas à mon enfance. Ma Madeleine de Proust. Beaucoup me demandent pourquoi j’ai écrit ce bouquin. Ce que je condamne, ce qui m’indigne. Or, je ne porte aucun jugement de valeur. J’ai juste cherché à mener une réflexion ludique sur un sujet qui m’intéressait. Je voulais montrer avec un côté potache et beaucoup d’autodérision qu’on pouvait continuer de jouer avec les Schtroumpfs différemment de lorsqu’on était enfant.  »

Antoine Buéno ne s’en prend d’ailleurs aucunement à Peyo. Au départ, il est interpelé par quelques caractéristiques de ses petits hommes bleus. Leur mode d’organisation communiste. La personnalité de leur ennemi, Gargamel, à ses yeux la caricature du Juif avec son nez crochu et son côté vénal.  » Je ne voulais pas trop le croire mais j’ai découvert très vite que ce n’était pas intentionnel. C’est le reflet d’une époque. Puis aussi de stéréotypes toujours d’actualité. Quand on imagine un méchant encore aujourd’hui, on ne le pense généralement pas grand blond aux yeux bleus.  »

Buéno le dit. L’écrit. Accuser Peyo de stalinisme ou de nazisme n’aurait aucun sens. Peyo était tout sauf un homme engagé. Il n’a apparemment jamais mûri de conscience politique. N’avait aucun penchant pour les extrêmes. Ne semblait rien connaître, ou pas grand-chose, du communisme. Il paraît même que sa femme lui disait pour qui voter.

 » Une £uvre peut véhiculer une imagerie que son auteur, de bonne foi, ne cautionne pas, sans qu’il en ait du tout conscience, remarque Buéno dans son essai. Les Schtroumpfs seraient un cas typique de dissociation entre les intentions d’un auteur et les représentations et idées réellement déployées au fil de sa BD. Créés en 1958, Les Schtroumpfs reflèteraient donc plus l’esprit d’une époque que celui de son créateur.  »

Qu’on le veuille ou non, une £uvre est toujours d’une manière ou d’une autre marquée par le contexte dans lequel elle a été enfantée.  » Je n’ai pas lu Le Petit livre bleu mais je pense qu’il faut entreprendre ce type de démarches, se poser ce genre de questions,estime Jean-Marie Apostolidès, professeur d’université à Stanford qui a consacré plusieurs ouvrages à Tintin ( Tintin et le mythe du surenfant, Les Métamorphoses de Tintin…). Ce sont des étapes à franchir pour approfondir une £uvre que d’étudier son rapport au réel. L’art peut permettre de le décoder. Aux Etats-Unis, les films de science-fiction remplissent souvent ce rôle. Mais en Europe, où nous n’avons pas les mêmes moyens financiers, la bande dessinée est un excellent outil…  »

Sans se prendre au sérieux, Le Petit livre bleu, ludique, fait réfléchir et volontairement sourire. Et Buéno de conclure:  » Certains m’ont dit que le film insultait bien plus la mémoire de Peyo que mon livre… »

u LE PETIT LIVRE BLEU, ANALYSE CRITIQUE ET POLITIQUE DE LA SOCIÉTÉ DES SCHTROUMPFS, ANTOINE BUÉNO, ÉDITIONS HORS-COLLECTION.

TEXTE JULIEN BROQUET

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