DE RETOUR D’ANGLETERRE ET DU VIETNAM, IL VA FILER EN ESPAGNE APRÈS QUELQUES DATES BELGES, ARMÉ D’UN BEAU FUTUR VAPOREUX. COMMENT BENJAMIN SCHOOS FAIT-IL TOURNER SA PAS SI PETITE ENTREPRISE?

«  Ecoute ça… Tu reconnais la voix? » D’un murmure troglodyte noctambule s’élèvent les accents dandys parfaitement identifiables de Christophe. « J’ai débarqué chez lui un soir, j’en suis ressorti au matin, on avait bouclé sa voix. Mais ce n’est pas mixé et je dois encore dealer la permission de le sortir. » Comment il a fait, le Schoos, pour emballer la semi-légende franco-italienne dans ses délires chauds? « Je lui ai envoyé la musique, et il a accepté. »

On ne s’étonnera que le jour où le Sérésien fera chanter le Pape. Pour le reste, de Chrissie Hynde à Chamfort, de Stef Kamil Carlens à Laetitia Sadier, la planète schoosienne ne cesse de placer en orbite des artistes séduits par le beau-bizarre décalé. Et le désir un peu fou de franchir le Rubicon de la pop, visant, pourquoi pas, les rives du grand public. C’est en tout cas le schéma de Beau futur, disque ni tofu, ni tordu, baigné de chansons sucrées à vocation radio. Média très schoosien. « En Grande-Bretagne, je suis programmé sur BBC6, radio en format DAB de découverte indie, rock, pop avec des présentateurs tels que Jarvis Cocker ou Marc Riley de The Fall. Cela et des articles positifs dans Q, Uncut ou NME ramènent du monde à nos concerts: pour cette courte tournée qui vient de s’achever, on avait une moyenne de 150 personnes par soir, soit le double de la fois précédente. Moi et mes deux Yéyé Girls étions payé 250 à 300 livres par prestation, ce qui veut dire qu’en sept dates, on ne perd pas d’argent et on en gagne même un peu avec le merchandising. »

Benjamin raconte comment, repéré lors d’une tournée en Chine par un promoteur vietnamien, il se retrouve à jouer en octobre dernier devant 10 000 personnes lors du premier festival rock à Hô-Chi-Minh-Ville. « C’était la folie. Et on a été payés en quelques dizaines de milliers de dongs (il rit), soit l’équivalent de 2000 euros.  »

Tiens, continuons avec les finances alors. « Mon premier cachet, à L’Escalier à Liège, était de 2000 francs belges, et avec mes parents, j’avais fondé une asbl pour déposer mes revenus. » Benjamin a 18 ans et vient d’être signé pour trois disques par le label Soundstation de Fabrice Lamproye, futur boss des Ardentes. Rejeton d’un docteur en biochimie génétique, « qui a mis au point un test pour la trisomie« , et d’une mère prof de chimie, Schoos junior en a hérité la caractéristique de précision obligatoire. Dans les studios en région liégeoise où il a ses habitudes, à Ans, le trentenaire en costard (1977) passe en revue soignée sa discographie. Eclectique et prolifique: une douzaine d’albums sous son nom qui succède en 2012 au patronyme de Miam Monster Miam. Folk, lo-fi, garage, chanson, pop vertueuse, le répertoire est noyauté par la transversalité et un goût prononcé pour l’onirisme, la (science-)fiction, l’ésotérisme rock.

Parfums artistiques doublés dès 2006 par la fondation de Freaksville Record, débiteur jusqu’à aujourd’hui d’une quarantaine de galettes. « Vendre 1500 pièces est un peu la norme Freaksville, mais parfois c’est seulement 500. Parfois aussi, le disque met dix ans à rentrer dans ses frais: ainsi le premier album de Juan d’Oultremont a mis une décennie à rassembler 3500 euros, essentiellement en ventes digitales. » Longtemps structuré en asbl -« sans possibilité donc de faire des bénéfices« -, le label vient de passer en société commerciale à l’automne 2014. Benjamin emmenant toujours dans son sillage les proches comme Sophie Galet, sa compagne, le photographe Pascal Schyns ou le musicien Marc Morgan.

Agoraphobie

Cette boulimie passe par la création de Radio Rectangle en 2012. Aujourd’hui, ce diffuseur numérique pétrole via un modeste subside de 6000 euros octroyé par Sabam Culture: « Je valide les contenus et cela se passe plutôt bien: on a 4500 abonnés qui reçoivent tous les jours leur podcast, et en Stream, cela donne environ 15 000 auditeurs par mois, dont un tiers de Français. » Rectangle, au contenu tout aussi éclectique que le répertoire Freaksville, a aussi été l’occasion d’un incident, Benjamin « pétant un câble » contre Focus lorsque le magazine lance à son tour un podcast numérique. Le Sérésien chaud boulette déblatère assez violemment l’affaire sur Internet, comme si on lui avait volé une idée qu’il n’a de toute manière nullement inventée. Benjamin s’explique: « Je suis d’un tempérament colérique. Depuis cet incident, j’essaie de me contenir. D’ailleurs, je me suis excusé le lendemain. Dorénavant, s’il y a un souci, j’appelle au téléphone et on discute. »

Pas besoin d’être freudien pour sentir que l’aventure musicale-entrepreneuriale de Schoos est aussi le signe d’une vie intérieure, disons, complexe. « Je ne suis ni maniaco-dépressif, ni surhomme, ni génie, mais quelqu’un d’extrêmement angoissé qui a des troubles phobiques, par exemple une agoraphobie qui m’empêche parfois d’être devant une foule. C’est pour cela que j’aime autant le studio: j’y trouve le confort, un sentiment familier. Et j’adore m’y mettre au service des autres, y avoir un rapport agréable avec des artistes que je produis. » Sur ce, Benjamin passe un titre du prochain Duvall prévu pour janvier. Jacques y chante Dieu et on se prend à penser Schoos en prophète pop. Pour Jésus, il est trop vieux.

EN CONCERT LE 21 NOVEMBRE AU BOTANIQUE, LE 27 AU CC CHIROUX À LIÈGE ET LE 29 À LA GELBRESSÉE À NAMUR.

RENCONTRE Philippe Cornet

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