Le marché belge étant historiquement microscopique, Flamands et Wallons doivent attaquer l’étranger pour faire carrière. Qui est parvenu à traverser les frontières? Comment? A quel prix? Retour sur 50 ans d’exportation musicale pour le troisième épisode de notre série d’été sur le rock made in Belgium.

Mille neuf cent soixante. Jean-Paul Wittemans décide de fêter le premier anniversaire de son club, Les Cousins, en produisant un 45 tours. Le patron de café se met à la recherche de musiciens et tombe sous le charme d’un groupe de bal, La Jeune Equipe, à qui il demande de composer un cha-cha-cha. Vite fait, bien fait. En novembre, l’affaire est dans le sac. Kili Watch en boîte. Les Cousins s’ouvrent les portes de la France, du Danemark et du Congo. Ils décrochent même un n°1 en Argentine, sous le nom de Los Primos. Comment l’adaptation d’un chant de guerre traditionnel indien est-elle devenue le premier tube international rock – à tout le moins pop -, du royaume? Rien, ou presque, depuis n’a changé. Par hasard. Quelques semaines après les protégés de Wittemans, Johnny Hallyday sort sa version du morceau. Coup de pub inespéré. Il popularise la chanson dans l’Hexagone et lance Les Cousins sur la voie royale. Ils auraient même vendu plus de disques que lui…

Pour beaucoup de Belges (de Wallace Collection à S£ur Sourire en passant par The Pebbles), le succès est fugace. Pas pour Front 242. En 1984, le groupe a déjà conquis le nord de l’Europe. Il part pour la première fois aux Etats-Unis où il ouvre pendant dix soirs pour Ministry. Quelques années plus tard, son single Headhunter, qui fera l’objet d’un nombre incroyable de remix, reste pendant douze mois en tête des charts alternatifs américains. En Allemagne, Front fait un tabac en première partie de Depeche Mode. En Angleterre, il décroche la Une du Melody Maker, magazine musical qui imprime les tendances du rock mondial. En 1993, Front sera même le seul groupe européen – et la seule formation électronique – à l’affiche du festival itinérant américain Lollapalooza, partageant l’affiche avec Alice in Chains et Rage Against the Machine. Quand son succès a-t-il pris pareille ampleur? Lorsque Jean-Luc De Meyer et ses comparses ont signé sur le label américain Wax Trax.

Une maison de disques à l’étranger, c’est aussi le choix opéré par Goose qui a attendu de signer un contrat avec Skint, label anglais de Fatboy Slim, avant de sortir son premier album en 2006. L’ambition et la patience ont payé. L’an dernier, les Courtraisiens ont fait le tour du monde.  » La plupart des groupes flamands donnent leur concert de l’année à l’Ancienne Belgique, à Werchter ou au Pukkelpop. Nous voulions plus que ça, expliquait Dave Martijn à nos confrères de Focus Knack. Ok, vous êtes prêts à nous filer 25 000 euros pour le disque. Mais qui va payer la promo? Et la tournée? Ce n’est pas parce que tu as un bon album dans un bel emballage que tu es arrivé. »

« STUPID BELGIANS »

TC Matic en sait quelque chose. Il n’a jamais connu pareil accueil à l’étranger. On peut même parler de cuisant échec.  » La branche belge d’EMI y croit à 100 %. Elle investit beaucoup dans le groupe. Malheureusement, le message ne passe pas jusqu’au siège international, déplorait Herman Schuermans dans Het Laatste Nieuws en 1984. Quand TC Matic a commencé en Belgique, certains prétendaient qu’il n’y aurait pas de public pour ce genre de musique. Et le groupe l’a trouvé. Même chose aux Pays-Bas où il a essuyé des Stupid Belgians avant d’imposer le silence et le respect.  » Il n’ira pas plus loin. Comme le Benelux est trop petit, le groupe se résout à l’évidence après quatre albums. Le marché ne lui permet ni de subsister ni d’évoluer. Arno devra attendre sa carrière solo avant de conquérir la France.

Le mot est lancé. Pour nombre d’artistes comme Axelle Red, An Pierlé, Zita Swoon, c’est pratiquement à ce seul pays que se résume le marché étranger. Difficile dans ces conditions de parler d’une véritable carrière internationale. L’histoire de K’s Choice et d’Hooverphonic, de leur parcours outre-Atlantique, suffisent à cerner la fragilité d’une percée. K’s Choice enregistre son deuxième album, Paradise in me, en 1995. Le single Not An Addict fait un véritable tabac et reste pendant plusieurs mois en bonne place dans les hit-parades. Aux Etats-Unis, il figure durant trente semaines dans le Billboard où il grimpe jusqu’à la cinquième place. Epic refuse pourtant de sortir le disque aux States, jugeant qu’il est trop porté sur les guitares. K’s Choice cherche une autre maison de disques. Mais à la suite de son concert au Pinkpop, Alanis Morissette l’invite à assurer sa première partie en Amérique. Le tour est joué. Quoique. « L’invite » est un bien grand mot. Les frais doivent être pris en charge par les Belges et leur label.

Porté par Bernardo Bertolucci, qui a utilisé un de ses titres ( 2 Wicky) dans la B.O. de Stealing Beauty, Hooverphonic, encore appelé Hoover, a très tôt (dès 1997) eu droit à une tournée étatsunienne. En 2000, lorsqu’il chante en ouverture de l’Euro, des centaines de millions de téléspectateurs sont devant leur petit écran. Pourtant, à l’heure qu’il est, The World is Mine est loin de résumer sa carrière. Il n’est toujours qu’une chanson de l’album Jacky Cane.

A l’ère du téléchargement sauvage, du pompage généralisé, comment peut-on aujourd’hui jauger un succès?  » Les ventes de disques constituent-elles encore un indicateur pertinent, s’interroge Christophe Waeytens de chez Bang!? Les Girls in Hawaii ne vendent pas plus de 80 000 disques mais ils remplissent un Olympia. » A une époque où le disque séduisait encore, Bang! aurait écoulé quelque 400 000 exemplaires du premier dEUS en terres étrangères.  » En Angleterre, nous avons surtout recueilli un succès d’estime, poursuit-il . Le NME avait élu Worst Case Scenario album of the week. Quand on arrive à faire tomber de la presse sur Londres, elle rayonne ensuite sur l’Europe. »

UNE PUB CANON

La publicité est un autre moyen d’y arriver. En vendant leur musique à Canon pour un spot télé, les Tellers ont fait coup double. Un beau petit chèque dans le portefeuille et une fameuse visibilité. Ghinzu a, en plus, pu compter sur une grosse présence scénique, le travail obstiné d’Atmosphériques et la diffusion de Do you read me sur de grosses chaînes de radio commerciales françaises. Résultat: entre 60 000 et 70 000 copies.  » S’imposer à l’étranger nécessite un long travail de fond. De l’énergie, du temps, une structure… La concurrence est telle que les groupes font la file pour jouer dans les clubs de Londres alors que 80 environ montent chaque soir sur scène. Il faut placer en radio, investir, faire grandir le nom. Je dirais que ça nécessite trois disques. Le premier pour se faire connaître. Le deuxième pour grandir et vendre des disques. Le troisième pour rentabiliser son investissement.  »

Certains brûlent les étapes. Composé d’un Français, d’un Anglais et d’un Suédois mais installé à Bruxelles, Puggy a été repéré au Borderline, un bar du centre de Londres, par les organisateurs des festivals de Reading et Leeds. Le trio, qui squattait dans un grenier sans chauffage, s’est ainsi retrouvé dans ces grand-messes du rock avant même la sortie de son premier album. A son retour en Belgique, nouveau petit miracle. Son concert à Couleur Café est diffusé en boucle sur MCM et séduit le guitariste d’Incubus confortablement installé devant la télé de sa chambre d’hôtel. Puggy assurera la première partie des Américains sur leur tournée européenne.

En 2008, les Belges à l’étranger, c’est aussi Showstar qui ne vend quasiment rien chez nous mais est distribué au Japon et en Thaïlande. Vendre de petites quantités de disques mais sur de nombreux territoires… La tendance se renforce.

dans le prochain numéro: la vague électro

TEXTE JULIEN BROQUET

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