Les morts aux trousses

Laurent Raphaël

Maintenant qu’on parvient à ressusciter les stars trépassées de la chanson grâce à leurs clones holographiques (Maria Callas, Tupac ou Michael Jackson, en attendant le tour d’Amy Winehouse ou de Johnny Hallyday). Maintenant aussi que les studios hollywoodiens ont trouvé la recette informatique pour modéliser les acteurs dans la force de l’âge et les faire ensuite « jouer » sans qu’on ait besoin d’eux physiquement, et indépendamment donc de leur déchéance physique -ce qui aurait pu éviter à Scorsese un lifting numérique douteux pour rajeunir De Niro and Co, seule ombre au tableau de son impeccable The Irishman-, compte tenu donc de ces innovations technologiques défiant la mort, il n’est pas absurde d’imaginer qu’on « réveille » un de ces quatre de grands réalisateurs disparus. Pour réinsuffler par exemple un peu de magie dans un cinéma américain bégayant et prisonnier de ses franchises de super-héros. Hitchcock serait sans doute sur la liste en tant que maître du suspense à la fois adoubé par la critique et plébiscité par le grand public. Pour asseoir sa réputation d’arche de Noé du cinéma d’auteur populaire, on imagine bien Netflix tenter l’aventure.

Plus que sa silhouette rondouillarde -qu’on pourra toujours intégrer en post-production pour entretenir la légende de ses fameux caméos-, c’est son cerveau que le département R&D du MIT ou de Google reproduirait dans un logiciel d’intelligence artificielle qui aurait au préalable analysé tous ses films et séries télévisées dans les moindres détails. Perfectionnistes, les ingénieurs lui auraient même fait écouter religieusement les interviews truculentes de l’architecte de Sueurs froides disponibles sur le Net, notamment ses conversations avec son ami et admirateur Truffaut, pour parfaire la ressemblance et atteindre ce haut degré d’ironie et de sagacité qui le caractérisait.

Les morts aux trousses

Le vieux Hitch ainsi exhumé aurait néanmoins du mal au début à retrouver ses marques dans un univers à mille lieues du monde ralenti et cadré d’avant la révolution digitale. Quand il meurt en 1980, on ne parle pas encore d’Internet. Même les téléphones portables n’existent pas encore. Et Dieu sait si cet outil se mariant parfaitement avec son goût pour la suggestion et le hors champ, mais dans sa version filaire, a façonné ses films et tétanisé les spectateurs.

Pour lui faciliter la tâche, on pourrait lui souffler l’idée de commencer par un remake d’un de ses classiques, histoire de se refaire la main en douceur. Et pourquoi pas le vertigineux Fenêtre sur cour? Connaissant l’homme, il ne se contenterait pas de remplacer James Stewart par Adam Driver, ni le pâté de maisons en briques rouges de Greenwich Village (reconstitué grandeur nature en studio) par des tours de verre d’un quartier d’affaires asiatique. Trop facile. Trop prévisible. Trop clinquant. Il aurait à coeur comme toujours de mêler les voies de l’expérimental et du classicisme. Aussi, son personnage principal, Jefferies, assigné à domicile suite à un burn-out, ne passerait pas ses journées devant les fenêtres de son appartement à reluquer ce qui se passe en face, mais bien scotché à son écran d’ordinateur. Il serait obsédé par la chaîne YouTube d’un hôtel japonais qui propose depuis peu à ses clients le tarif imbattable d’un dollar la nuit s’ils acceptent d’être filmés en direct 24 heures sur 24. On imagine bien le scénario que l’oncle Alfred pourrait échafauder sur cette trame: en zappant d’une chambre à l’autre où tout le monde dort, le voyeur tomberait sur une scène de ménage. Plus exactement sur des ombres semblant s’étriper sur le mur en face de la salle de bains. Ses soupçons se renforceraient quand le client quitterait précipitamment la chambre avec deux valises mais sans la femme qui l’accompagnait quelques heures auparavant. S’ensuivrait une enquête en ligne pour retrouver l’identité de l’inconnu et tenter de reconstituer le puzzle de ce qui a tout l’air d’un meurtre.

Oui, on délire sans doute, même si cette histoire d’hôtel à la merci des regards est bien réelle. Mais aux bonnes résolutions qu’on ne tiendra de toute façon pas, on innove cette année en formulant des prémonitions farfelues. Si elles se réalisent, on passera pour un visionnaire, si elles restent lettres mortes on dira que c’était une allégorie. Après tout, dans ce monde imprévisible, la réalité dépasse souvent la science-fiction…

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