Non sans ironie, le roman de Bill Granger dont s’inspire The November Man s’intitule There Are No Spies. Des agents secrets, on a pourtant l’impression que l’on n’en n’avait plus vus se bousculer de la sorte sur les écrans depuis l’époque de la Guerre froide, quand les Torn Curtain, The Third Man, ou autre The Spy Who Came in from the Cold imposaient leur grammaire au film à suspense. L’espion a la cote, et l’on ne parle pas exclusivement ici d’un James Bond faisant face, inoxydable, aux circonvolutions du monde, ni même d’un Jason Bourne venu le concurrencer sur ce terrain. Les mouvances contemporaines de la géopolitique sont propices aux hommes de l’ombre, en effet, vérité cardinale dont le Septième art a su faire une règle d’or. Si l’on se gardera de parler de tendance lourde, l’espionnage reste une valeur sûre du cinéma de genre. On en veut pour preuve que le film de Roger Donaldson a été précédé de quelques semaines à peine par A Most Wanted Man, adapté par Anton Corbijn de John Le Carré, l’auteur britannique restant la référence ultime en la matière.

Humeur délétère

Non content d’être bien dans l’air d’un temps incertain, le film d’espionnage se prête aussi aux déclinaisons les plus diverses -réalistes ou hautement fantaisistes, suivant l’humeur, et jusqu’à d’autres, purement parodiques, façon Grand blond ou, plus près de nous, Austin Powers ou son cousin français OSS 117. Ses avatars récents ne disent d’ailleurs pas grand-chose d’autre, qui adoptent des formes multiples: si la franchise Red confronte des agents de la CIA à la perspective de la retraite dans un mélange d’action et d’humour, la relance de Jack Ryan, le héros de Tom Clancy, devant la caméra de Kenneth Branagh pour The Ryan Initiative s’en tient, pour l’essentiel, à un classicisme poussiéreux. Enumération non exhaustive, loin s’en faut: on pourrait y adjoindre encore un thriller finaud comme The Shadow Dancer et un autre, un brin pataud, comme The Debt. Et jusqu’au Möbius d’Eric Rochant additionnant les strates d’un montage économico-amoureux jusqu’au vertige -l’ombre d’Hitchcock est passée par là qui, mieux que quiconque, sut mêler espionnage et romance.

La polymorphie n’est pas le moindre attrait du genre, il est vrai. Et si Ben Affleck en propose quelque version astucieuse dans Argo, opération stylée d’exfiltration de diplomates américains d’un Iran en proie à la révolution, Tomas Alfredson va jusqu’au maniérisme dans l’impeccable Tinker, Tailor, Soldier, Spy, un film où il ranime avec bonheur l’esthétique glacée de la Guerre froide. La période où cette dernière imprimait son humeur délétère aux relations internationales n’en finit pas de nourrir les fantasmes cinématographiques; elle sert d’ailleurs de cadre de référence implicite à The November Man, un film à la résonance toute contemporaine cependant. Quant à Anton Corbijn, il inscrit l’intrigue de A Most Wanted Man dans un contexte international vacillant. Lorsqu’on lui demande, en bout de course, à quoi rime tout cela, Philip Seymour Hoffman/Gunther Bachmann a cette réponse un brin désabusée: « To Make the World a Safer Place ». Il (y) a du pain sur la planche, et le thriller d’espionnage de beaux jours devant lui…

J.F. PL.

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