Les feux de l’amour
Une jeune femme chavire à la suite d’un coup de foudre. Un scénario usé jusqu’à la corde mais transcendé ici par une prose incandescente et sensuelle.
L’amour, ça brûle et ça pique. Surtout quand il vous tombe dessus sans prévenir et qu’il met sens dessus dessous une existence engluée dans la dépression. » Ce printemps-là, je marche comme un fantôme. Je mène une vie que je ne pensais pas mener, une vie seule avec une enfant dont le père a disparu sans crier gare. » Un paysage mental gris qui va voler en éclats lors d’un repas de Nouvel An entre amis. La tornade qui réanime le coeur résigné de la narratrice, c’est Sarah, femme exubérante, libre, et bientôt carburant inflammable d’une relation fiévreuse, totale, frénétique. » Ça raconte Sarah, sa beauté inédite, son nez abrupt d’oiseau rare, ses yeux d’une couleur inouïe, rocailleuse, verte, mais non, pas verte, ses yeux absinthe, malachite, vert-gris rabattu, ses yeux de serpent aux paupières tombantes. Ça raconte le printemps où elle est entrée dans ma vie comme on entre en scène, pleine d’allant, conquérante. Victorieuse. »
Aspirée corps et âme par le tourbillon de ce béguin fusionnel, la jeune femme fait crépiter les souvenirs: le sexe couleur tempête, le manque permanent, les retrouvailles improvisées, les sorties arrosées, le pouls qui déraille, les lendemains qui chantent, la fête des sens et cette sensation étrange, un peu inquiétante, de planer au-dessus du monde. Pauline Delabroy-Allard excelle à rendre palpable cet état second, la puissance des sentiments qui s’emballent jusqu’au vertige. Son écriture bouillonne comme le sang de ses protagonistes. Sa prose sensorielle en diable creuse le lit d’un fleuve en furie charriant des mots et des images extatiques. On palpite, on rit, on frémit et on suffoque avec cette trentenaire consumée par la passion. Et avec elle on perd pied dans le tumulte des émotions. Plus rien n’existe en dehors de ce champ magnétique. Tout -une chanson de Jeanne Moreau, les romans d’Hervé Guibert- la ramène à cette obsession, ce mantra. Même sa fille, qu’elle appelle « l’enfant » comme s’il s’agissait d’un paquet encombrant, n’a plus droit qu’à des miettes d’affection.
De la lumière à l’ombre
Les premiers orages ne tardent pas à éclater. Trop d’intensité entre ces deux pôles. Je t’aime moi non plus. Elles se séparent, se retrouvent, se cramponnent, se détachent sous peine d’asphyxie. Une passion sauvage, exténuante, impossible. Privée de celle qui » sent le cuir bleu et le désir orageux« , la jeune prof de lycée traque son ombre dans tout Paris. Et puis soudain, après un silence prolongé, enfin des nouvelles, mais pour s’entendre dire que son amante est malade et condamnée. Le ciel lui tombe sur la tête. Incapable de supporter l’idée d’être abandonnée, elle fuit sans laisser d’adresse. Commence la seconde partie d’un récit qui prend une tournure crépusculaire et s’étire comme un lamento funeste. Hagarde, elle atterrit à Trieste, ville au passé glorieux. Dans ce décor d’opéra tragique, elle va sombrer peu à peu dans une folie peuplée de fantômes, des rires de Sarah et de soliloques dévastateurs. Pauline Delabroy-Allard embrase la syntaxe et la langue pour mettre le feu au lac des passions. Le regard embué, le lecteur contemple le grand incendie. Un premier roman magnifique et terrifiant.
Ça raconte Sarah
De Pauline Delabroy-Allard, éditions de Minuit, 192 pages.
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