Depuis 40 ans, les groupes de rock se prennent pour des joueurs de foot et remplissent les tribunes. Comment est-on passé des Who aux Killers?

L e stadium rock n’est pas un genre« , dit le réalisateur Sebastian Barfield dans les notes de production de son documentaire We are the champions, volet de la série 7 Ages of rock.  » Ce terme est utilisé pour décrire la musique de groupes et d’artistes aussi différents musicalement que Led Zeppelin, Queen, The Police et U2. Ce qu’ils ont en commun, c’est qu’ils ont régulièrement attiré, voire attirent encore, des assistances de 50 000 personnes. Tous partagent un même sens de l’ambition. Un désir d’utiliser leur musique pour entrer en connexion avec le plus de gens possible. »

A la fin des années 60 déjà, les Beatles, les Rolling Stones et les Who remplissent des stades. Mais l’Arena Rock naît avec Queen et Genesis. Durant les seventies, l’industrie se décide à exploiter le filon, à décrocher le jackpot que peuvent constituer des concerts devant des audiences gigantesques. Un certain type de musique se prête aux grand-messes. Une musique pop, toujours rock mais mélodique. Des chansons que les gens aiment reprendre en ch£ur. Toute une génération grandit avec ce type de concerts événementiels et s’y accoutume. Confortée par l’apparition de MTV. Dans les années 80, le stadium rock sert à qualifier Bon Jovi, Kiss, Aerosmith… Il semble plus que jamais en vogue, mais s’apprête à vivre des heures difficiles. D’abord, parce que les jeunes recherchent davantage d’intimité, de proximité. Ensuite, parce que les vieux fans se fatiguent.

La musique bodybuildée des Killers

Originaires de Las Vegas, les Killers, qui s’apprêtent à sortir leur troisième album, incarnent la nouvelle vague du stadium rock. Ils ont toujours vu les choses en grand. Revendiquant même leurs ambitieux desseins.  » Nous avons, dès le début, essayé de devenir un grand groupe, avoue sans honte le bassiste Mark Stoermer. Nous savions ce que nous voulions. Conquérir le monde entier. Avoir des fans partout, jouer en tête d’affiche d’énormes festivals. » Festival. Le mot est lancé. Plus que les grou-pes (mis à part des phénomènes genre Tokio Hotel et des vieilles casseroles, qui ne font pas toujours les meilleures soupes), ce sont eux aujourd’hui qui attirent des dizaines, voire des centaines, de milliers de spectateurs. Peu de noms garnissent à eux seuls les gradins.  » Plusieurs facteurs sont à même de l’expliquer. Mais l’un des plus importants est l’évolution des méthodes de consommation de la musique. Internet, les radios par satellite ont multiplié les sources. Eclaté le public. Dans les années 80, beaucoup de gens étaient exposés à la même chose. Certaines chansons passaient en boucles sur les stations FM. Il y a aussi une question d’ambition peut-être. Mais je ne sais pas si ça a beaucoup de sens. Pour la plupart des groupes, le côté anti-commercial tient de la posture. »

Grandiloquents, les Killers ont l’envergure et la musique bodybuildée pour s’attaquer aux grandes scènes. Ils ont jadis écumé les petits clubs. Ils se produisent désormais dans les Arena, au Madison Square Garden.  » Il n’y a pas de secret. Il faut un peu de chance mais il faut aussi bosser dur. Ecrire de bonnes chansons. Des chansons en adéquation avec leur époque. Et puis, il faut tourner. Encore et encore. Jouer à plusieurs reprises au même endroit. Nous sommes allés une quarantaine de fois en Angleterre. J’ai encore les cachets sur mon passeport. »

Art ou fléau?

Mark Stoermer ne se leurre pas. Il sait que le succès de masse est aussi intimement lié à la publicité. Au boulot des maisons de disques.  » C’est pour s’assurer une bonne visibilité qu’il faut se trouver un bon label. Le label n’intervient pas dans le processus de créa-tion. Il entre surtout en jeu au moment de la promotion. » Mais aujourd’hui, vu la chute des ventes, même les majors rechignent à investir dans la promo. Du moins, elles ont revu leurs budgets à la baisse .  » Dorénavant, beaucoup de groupes vendent plus de tickets de concerts que de CD. En grosse partie à cause du téléchargement. Mais on a longtemps constaté le phénomène inverse. Les gens achetaient de mauvais disques vendus sur base de singles trompeurs et au final, il n’y avait personne dans les salles. En ce qui nous concerne, les chiffres sont plus ou moins semblables. Ce qui est plutôt bon signe.  »

Le stadium rock divise. Certains le voient comme un fléau, une usine à fric. D’autres le perçoivent comme un art. Selon Brian May, un de ses fondateurs, la carrière de Queen a été bâtie sur son interaction avec le public. Des chansons telles que We will rock you ont d’ailleurs été écrites spécialement pour que les spectateurs ne fassent qu’un avec le groupe. Groupe qui doit aussi se trouver une prestance, apprendre à occuper les grands espaces.  » Dans un petit club, tes moindres mouvements sont perçus par le public. Dans un stade, les mêmes gestes sont insignifiants, imperceptibles, explique Mark Stoermer. Certains artistes sont peut-être plus aptes mentalement aux grandes audiences que d’autres. Mais la seule chose qui puisse t’aider, c’est la pratique. Nous avons énormément tourné. Grandi par paliers. Il n’y a pas de cours, d’exercice ou de techniques particuliers qui font de toi un dieu du stade. »

Texte Julien Broquet

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