Cinéaste d’ouverture et de dialogue, Eran Riklis confirme avec Lemon Tree sa position majeure dans un cinéma israélien de plus en plus passionnant.

Dès Cup Final, son deuxième long métrage tourné en 1992, Eran Riklis mêlait Israéliens et Palestiniens dans un récit placé sous le signe du football. Une quinzaine d’années plus tard, celui qui rêvait dans son enfance d’être une star du ballon rond confirme son sens de l’ouverture et du dialogue avec le remarquable Lemon Tree ( Les Citronniers, voir critique en page 30). Réalisateur également du passionnant et audacieux Syrian Bride ( La Fiancée syrienne), Riklis fait assurément partie des réalisateurs de tête de cette nouvelle vague qui assure depuis peu au cinéma israélien une reconnaissance et une diffusion sans précédent. Le récit de son expérience, son regard sur une cinématographie en plein développement sont de précieux éléments pour comprendre un phénomène dont l’importance ne saurait être sous-estimée…

Comment est né le projet Lemon Tree?

Eran Riklis: en tout premier lieu, il y avait mon désir de faire un film avec et autour de Hiam Abbass, l’actrice avec laquelle j’avais déjà travaillé – mais pas pour le rôle principal – dans Syrian Bride. Ensuite, cherchant un bon sujet, j’ai lu dans un journal un entrefilet concernant une Palestinienne qui attaquait en justice le ministre de la Défense israélien au sujet d’arbres devant être abattus sur son terrain voisin de la maison dudit ministre. J’ai tout de suite compris que cette anecdote amenait tout ce qu’il me fallait: de bons personnages, un bon drame, un décor très cinématographique, et bien sûr cette dimension israélo-palestinienne qui me tient à c£ur.

S’agit-il d’un film politique?

Non, pas au sens strict du terme. Je ne prêche aucune idéologie, je raconte une histoire humaine, impliquant des gens qui se retrouvent dans une situation aux résonances politiques. Je ne crois pas, ou plus, aux théories. Je crois à la nécessité d’ouvrir les yeux des gens sur des situations vraies.

Hiam Abbass est une grande actrice. Elle a aussi cette particularité d’être appréciée à la fois par les cinéastes israéliens et palestiniens…

C’est une star! Mais quand il lui arrive de se comporter comme telle, je lui rappelle qu’elle a grandi dans un tout petit village du nord d’Israël (rire)! Le dernier week-end, nous avons assisté ensemble à une projection de Lemon Tree au Tribeca Film Festival à New York, en présence de la reine Nour, la veuve du roi Hussein de Jordanie. Quelqu’un dans le public a demandé à Hiam ce qu’elle représentait. Elle répondu qu’elle se représentait elle-même. Elle ne veut pas être érigée en symbole de quoi que ce soit. Elle est à la fois palestinienne, israélienne, française en ce que cela a de meilleur.

Vous-même, vous sentez-vous à la croisée de plusieurs cultures?

J’ai grandi un peu partout, en fait. Mon père était un scientifique, un chercheur, il nous a emmenés au Canada, puis à New York et au Brésil. J’ai aussi été à l’école en Angleterre, donc mon éducation fut internationale, empreinte de nombreuses cultures et de nombreux modes de pensée. Mais je suis par ailleurs vraiment un Israélien. Je vis en Israël, j’ai servi dans l’armée israélienne… En y repensant, c’est quand j’allais au lycée américain au Brésil que mes yeux se sont ouverts. J’avais pour professeur la veuve d’un soldat mort au Viêt-Nam. C’était au tournant des années 60 et 70, en plein mouvement anti-guerre. J’arrivais d’Israël. Nous avions gagné la Guerre des six jours, nous nous croyions les meilleurs, les plus forts… Grâce à cette enseignante, j’ai compris ce qu’étaient le monde et la politique. De retour en Israël pour achever mes études secondaires, je n’étais plus la même personne… Cela sonne romantique, mais c’est la vérité. Depuis, je n’ai aucune peine à rester ouvert, à absorber le plus de cultures différentes possibles.

Quel peut être l’impact d’un film sur le monde extérieur?

Je ne suis pas naïf à ce propos. Mais les films ne font-ils pas partie intégrante de notre vie à tous? Ne sont-ils pas, dans l’abondance d’informations et d’émotions que nous absorbons du matin au soir (radio, journaux, Internet, télévision, livres, discours des politiciens), et qui nous aident à déterminer notre opinion sur les choses, une source particulièrement intime? Le cinéma nous touche profondément, que nous l’admettions ou non. Il peut laisser une forte empreinte en nous, éveiller notre conscience à telle ou telle question. Sans doute est-ce dû à l’émotion qu’ils peuvent susciter plus que les autres moyens d’expression et de communication. A nous, réalisateurs, de nous sentir une responsabilité, de ne pas manipuler la vérité quand des faits nous inspirent…

Vos films sont-ils vus dans le monde arabe?

Malheureusement non. A la seule exception du Maroc, où j’ai eu, voici quelques années, l’occasion de montrer un de mes films, aucun pays arabe n’accepte de montrer un film israélien. Pour l’unique raison qu’il est israélien. Ce qui est ridicule! Certes quelques DVD pirates de mes films circulent à Amman, au Caire, peut-être même à Damas. J’ai entendu dire, mais sans pouvoir le vérifier, que le président Assad s’était fait projeter Syrian Bride… et l’avait aimé…

Le thème de la solitude marque Lemon Tree. Peut-on y voir une métaphore de la situation d’Israël?

Je me méfie des métaphores (rire)! La solitude, c’est avant tout celle des personnages de mon film. D’une manière ou d’une autre, tous sont pris au piège. Le ministre, comme sa voisine, se réveille pour voir par sa fenêtre un mur qui le sépare de l’autre… La plupart d’entre nous vivons avec des barrières, des murs (pas forcément matériels), des limites. Et chaque jour, nous devons décider comment nous arranger avec cela. Allons-nous démolir ces murs ou poursuivre comme si de rien n’était? C’est un sujet universel. Même si j’admets qu’il a sans doute une résonance particulière pour un Israélien. Ou pour un Palestinien, d’ailleurs. Salma ne reçoit pas d’aide des responsables palestiniens. Le seul qui se manifeste le fait pour la rappeler à ses devoirs de veuve n’ayant pas le droit de tomber amoureuse d’un autre homme…

Dans un contexte qui ne s’y prête guère trouvez-vous des raisons d’être optimiste?

Un fameux écrivain arabo-israélien, Emil Habibi, a écrit une pièce titrée L’optimiste, dont le héros – palestinien – vivait en étant simultanément optimiste et pessimiste. Ne pas désespérer, conserver une certaine dose d’optimisme, n’est-elle pas la seule solution pour survivre dans ce Moyen-Orient accablé par le poids de l’Histoire et des préjugés? Nous vivons dans une région complètement folle, où tout le monde a raison, mais où personne ne se parle plus!

www.lemontreemovie.com

ENTRETIEN LOUIS DANVERS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content