Féminin pluriel – Autour d’un centre de planning familial, Claire Simon signe une fiction documentaire passionnante, à l’écoute des secrets des femmes.

De Claire Simon. Avec Nathalie Baye, Isabelle Carré, Béatrice Dalle. 2 h. Sortie: 12/11.

C’est le portrait d’un lieu, un centre de planning familial; et l’histoire des femmes, nombreuses, qui viennent y chercher réponses, conseils, réconfort, à l’heure de choix décisifs liés à leur liberté sexuelle. Des vérités intimes se dévoilent, banales ou extraordinaires – de la jeune fille qui voudrait prendre la pilule sans en informer sa famille, à celle, affolée, parce que s’étant retrouvée enceinte malgré elle -, et trouvent là l’oreille attentive de conseillères.

En découle une mosaïque étonnante, pour un film à l’écoute du monde, et désamorçant joliment force clichés, non sans refuser avec obstination la facilité comme les schémas réducteurs. Une £uvre s’appuyant par ailleurs sur un dispositif aussi singulier que stimulant. Les Bureaux de Dieu est ancré dans la réalité d’un centre suivi pendant plusieurs années; une réalité enregistrée et interprétée par des inconnues pour les consultantes, par des actrices de renom (Nathalie Baye, Nicole Garcia, Isabelle Carré…) pour les conseillères, pour un film s’inscrivant au confluent du documentaire et de la fiction.

Le chemin de la vie

Venue présenter son film au Festival de Namur, Claire Simon expliquait sa démarche:  » Le planning de Grenoble a lancé une invitation à divers cinéastes au début des années 2000. J’ai pensé qu’ils s’adressaient à moi suite àSinon oui , un film sur une femme qui simulait une grossesse et voulait un enfant. Mais ils désiraient simplement que nous réalisions de petits films de commande. J’ai voulu voir ce qui se passait au planning avant d’entreprendre quoi que ce soit. »

S’attelant à la tâche, la cinéaste découvre un lieu extraordinaire de transmission, dimension au c£ur du long métrage qu’elle réalisera finalement:  » J’ai rendu compte de ce que je voyais, cette communauté de filles, qui n’est guère racontée. J’ai aussi voulu, 40 ans après l’autorisation de la pilule, et maintenant que ce n’est plus du tout un combat politique en France, voir ce qui paraissait être devenu naturel. Avec, d’une part, les conseillères et les médecins qui essayent de faire avancer toujours plus la liberté des femmes. Et, d’autre, part, comment se vit ce qui paraît aujourd’hui tout à fait normal et naturel: renouveler sa pilule, l’avoir oubliée, les IVG de jeunes filles se retrouvant enceintes… »

La matière, la cinéaste l’accumule pendant quelques années, pour choisir, au final,  » ce qu’il y a de plus beau. Je ne suis pas préoccupée par la représentativité. Même si je tenais à ce que figurent les étapes sur le chemin de la vie, qu’on ne se trouve pas en présence uniquement de très jeunes filles…« . Et tant mieux si, à l’arrivée, le film parle de femmes, sans distinction de classe, ni d’origine –  » C’est la réalité telle que je la vois et que je l’ai vue. »

Restait à mettre l’ensemble en forme. Ayant évolué, au gré de son parcours, du documentaire à la fiction, Claire Simon a, en quelque sorte, opté pour la jonction entre deux modes complémentaires de filmer.  » Dès le départ, il était exclu de faire un documentaire, ce qui se passe au planning étant secret. J’avais, dans un premier temps, imaginé le dispositif inverse à celui finalement adopté, à savoir que les vraies conseillères rejoueraient les entretiens que j’avais enregistrés, face à des consultantes très connues. Mais des très connues de 16 ans, il n’y en a pour ainsi dire pas. Et il m’a semblé que l’on pouvait mettre en miroir la dimension professionnelle des conseillères et celle des actrices. J’avais envie que l’on se dise c’est toutes les femmes, voilà. »

Un scénario documentaire

Le film trouve là une forme idoine, venue l’inscrire dans une tendance récente à la fiction documentaire ( lire ci-contre).  » Ce qu’ont en commun ces films, c’est un scénario documentaire. La narration est dans la forme documentaire. Ce qui n’a rien à voir avec la docu-fiction, où on prend des histoires vraies pour les faire jouer, comme à la télé. Si cela arrive, c’est lié – mais pas exclusivement – à des interdits. Il s’agit aussi, à mes yeux, de faire sentir une part mythique, légendaire. Prenez Waltz with Bashir : s’il avait été filmé en documentaire, on n’aurait guère accordé d’attention à ce qui constitue les personnages, à leur puissance légendaire, mythologique, narrative. Dès que c’est dessiné, le personnage qui fait son enquête ressemble aux figures centrales des films de Fellini ou Kiarostami, c’est l’homme qui cherche son histoire, il n’est plus l’alibi du film documentaire. On lui donne une dimension plus profonde, plus artistique, plus sentimentale, alors que quand on est dans le documentaire, on reste du côté de l’utilitaire, du pédagogique, du social – autant de facettes qui masquent ce qu’on essaye de montrer… »

On lira également l’interview de Rachida Brakni dans Weekend Le Vif/L’Express de ce jour, en page 12.

Texte Jean-François Pluijgers

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