LE TRIO ABEL, GORDON ET ROMY NOUS ÉMERVEILLE AVEC LA FÉE, AUX CONFINS DU BURLESQUE, DE LA POÉSIE URBAINE ET DU TÉMOIGNAGE SOCIAL. DRÔLE, INVENTIF, ATTACHANT.

Pour une fois, Bruno Romy accompagne Dominique Abel et Fiona Gordon en interview. S’il est moins présent devant la caméra (il joue cette fois un garçon de café… aveugle), le troisième larron l’est bien plus derrière. Et son regard apporte beaucoup à la créativité d’Abel et Gordon, funambules du comique et poètes d’une condition humaine jamais mieux exposée que dans le burlesque. Avec ces trois-là, l’héritage de Tati et des grands du « muet » est entre de très bonnes mains!

Entre mille idées, comment choisir celle qui deviendra un projet de film?

Fiona Gordon: Il y en avait plusieurs, en effet, au départ. Nous avons gardé 2 histoires, que nous écrivions en parallèle. Ensuite, l’une des 2 ne nous a pas paru pouvoir tenir la distance des 2-3 ans que prend un film…

Dominique Abel: Mais des traces de l’histoire abandonnée, et même d’une ou 2 autres à peine esquissées, se retrouvent au bout du compte dans La Fée. Il n’y a pas de cloison étanche dans notre manière de fonctionner.

Votre nouveau film semble accentuer la dimension sociale, sociétale, en tout cas, de votre cinéma…

D.A. : Le monde chaotique qui nous entoure, donc la société et ses questions, sont en effet plus présents que jamais.

F.G. : Le cadre urbain était déjà plus propice à cela. Il appelle des personnages confrontés à des questions de société.

Bruno Romy: C’est notre script le plus ouvert, avec de nombreux seconds rôles, alors qu’avant, tout était quand même très centré sur Dom et Fiona.

F.G. : On en a eu un peu marre de nous-mêmes ( rire)!

Votre tendresse permanente pour les marginaux prend tout de même un tour plus directement « politique », avec les clandestins, les voleurs de saucisses…

F.G. : Le malheur des clandestins nous a toujours préoccupés, et a toujours été présent dans ce que nous faisons. Nous n’avons pas de vocation politique, pour autant. Mais si les spectateurs voient quelque reflet du monde dans La Fée, c’est très bien.

D.A. : Ça fait partie du boulot du clown que de montrer les petits, les lents, les moches, plus largement les exclus… Nous sommes tous 3 des amoureux du burlesque. Et dans les films des pionniers du genre, ils disaient:  » Ok, nous ne sommes pas parfaits, mais nous voulons notre part du grand rêve américain, nous voulons du travail, même si nous n’avons pas beaucoup de chance, et que nous ne sommes pas tels que vous le souhaitez…  » Aujourd’hui, dans la société actuelle, ces interrogations-là sont revenues, presque plus cruellement qu’avant. Même dans nos pays de riches…

F.G. : En tant que clowns, il ne nous appartient pas de faire la morale, de donner des leçons. Mais nous pouvons faire rire, et toucher.

La ville du Havre est un élément crucial dans La Fée. Pourquoi cette ville?

B.R. : Très vite, on a su que nous allions tourner au Havre. Cette ville nous a carrément (et c’est une première pour nous) inspirés dans l’écriture du film. Le Havre, c’est comme une maquette géante, un lieu idéal pour exercer l’art du fil entre le réel et le conte. Et pour faire de faux décors avec de vrais éléments urbains.

F.G. : Faute d’autorisation de tourner sur un vrai toit, nous avons décidé de créer de toutes pièces, en studio, un décor reproduisant exactement le vrai toit où nous avions voulu tourner. La société du Port Autonome du Havre a mis à notre disposition un énorme hangar…

D.A. : En fait, il s’agissait d’un « frigo » de 6000 mètres carrés, qu’il a fallu entièrement équiper. Ce fut notre petit Cinecittà à nous!

Votre travail est-il devenu plus conscient, avec le temps?

F.G. : Nous ne nous dirigeons jamais vers quelque chose de manière consciente. On fait toujours confiance à ce qui va sortir.

D.A. : La méthode ne change pas. D’abord quelques mois d’écriture, puis on va en studio et on s’y amuse, un peu comme des enfants, à faire tous les personnages, à essayer des choses. C’est là aussi qu’on trouve notre façon de filmer, car on a toujours avec nous notre petite caméra. Ensuite, le soir, on regarde ce qu’on a improvisé. On rit ou on ne rit pas, on aime ou on trouve laid tel ou tel cadrage. Et tout se développe ainsi, petit à petit, comme organiquement. Et quand on arrive au tournage, tout est déjà bien préparé.

B.R. : Ça ne devient pas plus facile avec l’expérience. A chaque fois, on flippe, on doute. Car tout repart de zéro, chaque fois. Et heureusement! Car c’est ainsi qu’on invente…

D.A. : On est venus au cinéma sans passer par une école, un peu à la manière des pionniers du « muet »: avec notre physique et le fait que l’on sache comment faire rire les gens. On se plante énormément, comme tous les clowns. Mais on cherche toujours, dans le cinéma, à tracer notre propre chemin, dans l’expérimentation et le bricolage permanents.

RENCONTRE LOUIS DANVERS

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