DU 17 AU 22 MARS, TOUTE L’INDUSTRIE MUSICALE S’EST FIXÉE RENDEZ-VOUS À AUSTIN POUR LA 29E ÉDITION DE SOUTH BY SOUTHWEST. CONCERTS EXTRA-TERRESTRES, AFRO FUNK MUTANT ET RENCONTRES DU 3E TYPE… SPACE IS THE PLACE.

91 lieux de concerts rien que pour le « In », allant du pub restaurant au club mythique, de l’église presbytérienne au centre culturel mexicain, du garage réhabilité au bar d’hôtel de luxe… Plus de 2200 groupes souvent inconnus au bataillon sélectionnés dans la programmation officielle et souvent affublés de noms curieux (traductions françaises: Toutes les vaches mangent de l’herbe, Crânes de Cobalt, Shorts de gym ou encore Canoë de Pirates)… A South by Southwest, une mère ne retrouverait pas ses petits et même l’ingénieux petit poucet peinerait à se souvenir de son chemin avec ses cailloux. Perdu, malgré la géographie militaire tout en parallèles et perpendiculaires des lieux, dans le gigantisme, la surabondance et le consumérisme très américains du plus grand festival du monde.

Alors pour ne pas perdre son temps et forcément son argent -le prix du billet toutes salles coûte tout de même au mieux 650 dollars (que vous pouvez traduire par euros vu le désespérant taux de change actuel)-, il s’agit de se trouver des guides prescripteurs dans l’industrie morcelée et bordélique du disque 2.0. Magazines institutionnalisés, labels spécialisés, sites Internet relativement fiables et blogs plus ou moins obscurs… Chacun ses repères dans un pays où on supporte parfois un club de foot à cause de son sponsor (aveux extirpés à un fan des New York Red Bulls adepte de boissons énergisantes). Dans cette jungle, terrible jungle, assister à la journée Austin Psych Fest, le festival rebaptisé Levitation, fondé par les membres de Black Angels, est toujours un gage de qualité et a le mérite de la diversité, les Texans embrassant tous les psychédélismes. Qu’ils soient sixties ou modernes. Californiens ou africains.

Du côté de l’Hotel Vegas, deux petites salles et une grande scène coupée en deux dans le jardin, ils sont une quarantaine à défiler entre deux heures de l’aprem et deux heures du mat. Il y a notamment Institute, groupe local au post-punk énervé qui vient de se faire adopter par la famille Sacred Bones chez qui il a sorti l’EP Salt fin d’année dernière. Ou le projet électronique expérimental et psychédélique Vision Fortune, signature ATP. Il y a aussi Gourisankar Karmakar, maestro du tabla qui a ouvert en 2008 à Austin l’école de la percussion et de la musique indiennes, accompagné du joueur de sitar Indrajit Banerjee. Ou encore, sensation de cette édition 2015, les Songhoy Blues, originaires du Mali, dont même les flics fumeurs de pétards et les comptables de la ville ont entendu l’histoire. C’est après avoir quitté le nord de leur pays pour fuir les Jihadistes et l’interdiction de jouer de la musique, qu’ils se sont fait repérer il y a deux ans par Damon Albarn et Brian Eno. Si le leader de Blur les avait invités à figurer sur sa compilation Maison des jeunes, Nick Zinner, le guitariste des Yeah Yeah Yeahs, a lui produit Music in Exile, leur premier album. Un véritable rayon de soleil qu’avait déjà fait briller un peu plus tôt dans la soirée le Golden Dawn Arkestra. Collectif extraterrestre afrofunk vivant sur la même planète que Goat et Sun Ra, l’orchestre psychédélique et carnavalesque est né lorsque Topaz McGarrigle s’est mis à travailler sur la bande originale d’un film qui n’existait que dans sa tête. Une espèce de « western spaghetti dans l’espace réalisé par Tim Burton« . Funky crazy, gorgé de cuivres et groovy: la dizaine de musiciens et de danseuses masqués n’attendent plus qu’un vaisseau spatial pour venir convertir l’Europe…

Avec Panache…

Comme pour faire honneur à l’adage « ce qui se passe à Vegas reste à Vegas », certains sont abonnés aux lieux. C’est notamment le cas de Thee Oh Sees dont l’hyperactif leader John Dwyer vient d’annoncer la sortie d’un nouvel album en mai ainsi que, dans la foulée, celle d’un deuxième Damaged Bug, ses moins intéressantes aventures électroniques artisanales. Flanqué d’un groupe avec lequel on ne l’a encore jamais vu en Belgique et pour l’occase de deux batteurs, Dwyer y joue pratiquement tous les jours. Notamment lors de la programmation Panache Booking, sans doute le tourneur le plus rock’n’roll des Etats-Unis. Une tornade entre les gouttes, les pieds dans la boue, dont les vêtements et les chaussures se souviennent encore pour ponctuer une soirée surexcitée dont les nerveux protégés de Ty Segall Ex-Cult (l’an prochain de par chez nous), et le bélier The Blind Shake (à ne pas rater le 27 avril à La Zone et le lendemain au Magasin 4) ont enfoncé les portes avec une énergie hors du commun. « L’eau, c’est fort, ça porte les bateaux« , pourraient commenter ces derniers peu enclins à la picole.

Moins musclé, seul avec sa guitare acoustique ou accompagné d’un pote pour quelques percussions, l’Uruguayen de New York Juan Wauters n’en a pas moins tiré son épingle du jeu avec une espèce d’antifolk qui évoque la clique d’Adam Green. Puis aussi l’héritage d’un Jonathan Richman. Son deuxième album, Who me?, qui marie l’anglais et l’espagnol, est prévu pour le 12 mai.

Pointé du doigt ces dernières années pour sa tournure très commerciale, le festival texan a beau avoir invité Snoop Dogg à causer (le rappeur canin a notamment annoncé qu’il travaille actuellement avec HBO sur une série dont l’action se déroulera dans le Los Angeles des années 80) et rester le terrain de grosses et plus ou moins ingénieuses opérations marketing, il en est revenu de manière générale dans sa programmation à un peu de bon sens et à sa volonté première: permettre à des groupes encore plus ou moins méconnus de jouer devant tout le business de la musique. Pas de Lady Gaga, n’est-ce pas mieux comme ça?

En attendant, à South by Southwest, à côté des reformations plus ou moins foireuses comme celles de Gang of Four et des Damned sur lesquels un documentaire Don’t You Wish That We Were Dead était pour la petite histoire présenté dans la programmation cinéma du festival (le cas aussi pour Songhoy Blues avec They Will Have to Kill Us First), il se passe toujours des trucs hors du commun. Le Strokes Nikolai Fraiture vient présenter son projet avec l’Au Revoir Simone Erika Spring (Summer Moon). Un batteur, celui de Viet Cong, donne ses concerts avec un seul bras (l’autre est en écharpe) quand il ne se fait pas rejoindre par Thor Harris des Swans. Là où BadBadNotGood grimpe sur scène avec le Ghostface Killah et ses potes. Sortie il y a quelques semaines, Sour Soul, la collaboration entre le groupe canadien de hip hop instrumental et le membre emblématique du Wu-Tang Clan, ne devrait pas déboucher sur une tournée commune en Europe mais c’est définitivement le genre d’événement South by. Dans une cour du Mohawk remplie à craquer (même Bill Murray en était, lui qui avait partagé une scène avec GZA et RZA dans le Coffee & Cigarettes de Jarmusch), la dream team reprend des titres du Wu. Revisite brièvement le I Want You Back des Jackson 5 et invite un inconnu sur scène rapper Protect Ya Neck. Dingo.

Reagan, sang et latex

Aller voir des concerts à SXSW, c’est un peu comme aller bouffer dans un restaurant à volonté. Même quand c’est bon, il y a toujours un moment où on n’a plus faim. Où toute la bouffe a le même goût. Semble fadasse et commune… Avec les soundchecks souvent expéditifs et les artistes sur les rotules, ça explique sans doute les foirages finalement tout relatifs quand des musicos enchaînent deux concerts par jour et parfois jusqu’à une dizaine sur la semaine. Une bonne raison d’excuser les problèmes techniques de Rat Fist, ou No Age qui rencontre Pissed Jeans, comme la prestation un peu plan-plan des Australiens de Twerps et celle moyennement convaincante des légendaires Spits sous leurs cagoules à l’effigie de Ronald Reagan.

Rayon rockeurs masqués, on a préféré les méchants Tear Dungeon et leur look sado-maso. Du sang sur les vêtements, les têtes emballées de latex. Parce qu’ils en avaient davantage dans le pantalon. Puis aussi parce que South by est avant tout destiné à la découverte de nouvelles têtes. Mope Grooves de Portland emmené par un grand dégingandé à l’air un peu benêt, sorte de croisement entre Jeffrey Lewis et Bradford Cox avec un penchant pour l’indie rock et le pop punk lo-fi. The Parrots, Black Lips espagnols ou pour éviter toute confusion Mujeres madrilènes. Les Lake of Fire et leur garage psych surf à la voix lointaine. Les Marinellis québécois et leur chanteur déjanté, le 24 avril au Bos anversois avec du rock garage en français. Ou encore les Lemons de Chicago: cette bande de rigolos a sorti l’an dernier un premier disque candide et ahuri qui fait oublier la grisaille. Du genre scouts sous champis. Entre surf, anti-folk et punk hippie lo-fi. Quatorze chansons acidulées enquillées en un quart d’heure qui parlent de marchands de glace et de jelly beans, ces bonbons américains célèbres pour leurs formes en haricots… La joie de vivre en capsules musicales et un concert qui se termine dans une bordélique bonne humeur.

Idéal pour oublier que South by finit par vous faire la tête comme un seau avec ses riffs et ses beats. Sa musique partout, tout le temps, et souvent très fort. Le set du folkeur Ryley Walker fait lui aussi office de remède dans le brouhaha ambiant. Le bonhomme de l’Illinois et sa gratte magique sortent ces jours-ci Primrose Green, qu’il présente avec brio accompagné d’un guitariste, d’un claviériste et d’un contrebassiste. On y reviendra bientôt.

Né au Smell, le club autour duquel a gravité ces dernières années une bonne partie de la scène de Los Angeles, le duo féminin Girl Pool n’est pas à la hauteur du buzz mais tient malgré tout quelque chose avec sa formule rudimentaire guitare/basse. De tous les groupes en « Girl », les Irlandais de Girl Band sont assurément les plus sauvages. Les Dublinois censés enregistrer leur premier album, prévu chez Rough Trade, dès leur retour de South by, impressionnent. Bruyant, bruitiste, Girl Band s’énerve, emmené par le chant suffoquant de Dara Kiely. Il y a des concerts comme ça pour lesquels il vaut mieux se protéger les oreilles. C’est le cas aussi pour ceux hurleurs et décapants des Anglais de Bad Breeding. Et le hip hop extrême d’Ho99o9 (prononcez Horror): ces deux Black barjots, qui jouent dans les mêmes ruelles obscures et glauques que Death Grips et les kids d’Odd Future, rappent drogue, sexe et nécrophilie. Le clip franchement gore de Da Blue Nigga From Hellboy, extrait d’un EP (Mutant Freax) sorti l’an dernier à l’occasion d’Halloween, en donne un avant-goût sanguinolent. Epaulés par un batteur, les deux MC’s de Newark ont le goût et le sens de l’extrême. Quoi de mieux pour terminer une visite au paradis des excès?

TEXTE Julien Broquet

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