POUR SON PREMIER FILM PILOTÉ EN SOLO, YOLANDE MOREAU S’ATTACHE À DÉCRIREL’ÉVEIL D’UN DÉSIR DEPUIS TROP LONGTEMPS ÉTEINT OU RÉPRIMÉ.

« Agnès Varda, elle ose tout, elle a tous les culots. C’est la personne la plus anticonformiste, la plus étonnante, que j’ai jamais rencontrée. Son cinéma est tellement gonflé que c’en est intimidant. Je suis sortie des Plages d’Agnès en me disant à moi-même: « Oh putain! Mais qu’est-ce qui te prend de vouloir faire des films? Après ça, tu n’as plus qu’à fermer ta gueule… » »

Neuf ans après Quand la mer monte… , co-signé avec Gilles Porte, Yolande Moreau, à qui Varda offrait ses tout premiers rôles au cinéma il y a déjà trois décennies (le court métrage 7p., cuis., s. de b., … à saisir puis le long Sans toit ni loi), n’en a pas moins décidé de l’ouvrir à nouveau avec Henri (lire critique dans Focus du 06/12), première réalisation en solo qui voit la Bruxelloise d’origine évoluer toute belgitude dehors, sa nouvelle et improbable romance entre deux paumés de la vie s’inscrivant entre le spleen hennuyer et le grand air de la mer du Nord.

Soit l’histoire de Henri (Pippo Delbono), quinquagénaire colombophile d’origine italienne qui gère un modeste café-restaurant carolo, La Cantina, en compagnie de sa femme Rita (Lio), dont la mort aussi soudaine qu’inattendue le laisse bientôt complètement désemparé. Moment choisi par sa fille pour lui suggérer de se faire aider par un « papillon blanc », surnom des résidents d’un foyer pour handicapés mentaux. Et Rosette (Miss Ming) de débarquer ainsi dans le quotidien de Henri, et avec elle ses rêves d’une vie plus ordinaire… « Je voulais raconter l’histoire d’un homme de 50 ans un peu éteint, un peu alcoolisé, avec une vie étriquée. Une solitude. Et puis après, il y a un réveil. Ce sont les affres de la vie, les petits coups durs, qui font qu’on se replie, que le quotidien devient besogneux. On fait ce qu’on a à faire, mais sans plus. Il n’y a plus d’enthousiasme, même si, en l’occurrence, Henri, il a quand même toujours quelques petites étincelles. Comme il est colombophile, ses pigeons, ses copains, font qu’il n’est pas complètement au fond du trou. Mais avant sa rencontre avec Rosette, il vit dans la grisaille.  »

Le sujet, on le voit, est sensible, voire piégeux. Et avec ses personnages en décalage à peine contrôlé, mutiques jusqu’à la caricature, Yolande Moreau n’évite d’ailleurs pas toujours l’écueil de la complaisance auteuriste, voire du misérabilisme pur et simple. Pour autant, le film, hyper réaliste, s’autorise ponctuellement une vraie recherche graphique, le temps de quelques plans à la souveraine beauté. « Il y a, dans la vie, une espèce de poésie du quotidien à laquelle je suis très attachée. Et qui peut naître de choses très banales. Prenez ces rideaux blancs, qui en viennent à former une robe de mariée pour Rosette: ce sont des choses très basiques. En même temps, la recherche d’une certaine beauté visuelle ne peut pas être gratuite, il faut que ça dise quelque chose. La scène du lâcher de pigeons est belle parce qu’il y a un vrai amour des pigeons chez Henri, mais aussi parce que ça renvoie à une envie de liberté, d’un ailleurs, d’un envol chez les deux personnages. » Pigeons, papillon blanc, battements d’ailes en guise d’ouverture sonore du film: au fond, tout cela ne serait-il pas qu’un seul et même symbole des ailes d’un désir enfin retrouvé? « Oui, les ailes du désir… Je n’osais pas le dire, mais oui, c’est complètement ça.  »

Chasser le mignon

Et la réalisatrice d’aussitôt ré-insister sur l’ancrage profondément réaliste de son nouveau film: « Il n’était pas question d’être dans l’onirisme qui caractérisait en partie Quand la mer monte… Avec Henri, on est en plein dans le réalisme poétique. Avec son sujet sensible, il fallait faire attention. Je ne voulais pas tomber dans le politiquement correct avec les handicapés, dans le gentil-gentil. J’ai un peu chassé le mignon, comme on dit. La plus grosse difficulté du projet était là: trouver la bonne distance. Et l’onirisme, selon moi, n’avait pas sa place, je trouvais ça trop dangereux de jouer avec ça. Je pense que les handicapés amènent de la poésie dans le film, mais ils sont à leur juste place, on les voit comme ils sont: ils ne sont pas ridiculisés mais ils ne sont pas rendus non plus, comment dire, « gentils les violons ».  »

Pour les interpréter, Yolande Moreau a fait appel aux comédiens de la Compagnie de l’Oiseau-Mouche, troupe roubaisienne comptant une vingtaine de personnes en situation de handicap mental. « Je ne voulais pas filmer un groupe d’handicapés et leur voler des choses. Donc j’ai été les trouver sans baratin, en leur disant que j’avais besoin d’eux pour des rôles d’handicapés mentaux. J’avais des sueurs froides, parce qu’un jour ils m’ont dit: « Ah mais nous quand on vient jouer au théâtre, on laisse nos problèmes au vestiaire. » Et en effet, un matin, je tombe sur un des mecs avec qui il me semble impossible de communiquer, et qui n’arrête pas d’essayer de me refiler son numéro de portable, et puis l’après-midi je le vois répéter sur un texte de Valère Novarina, et là je suis sur le cul. C’était fascinant. Tout ça pour dire que j’y ai été franco. Je leur ai dit: « Vous savez, moi non plus je ne peux pas tout jouer: je ne peux pas jouer une jeune femme mince et blonde. On ne va pas me le demander, ce n’est pas moi. On va me demander des choses où je peux raccrocher une part de ma personne, de mon physique, de mon vécu, et puis à partir de là on a un espace de liberté, qui est celui du comédien. » »

RENCONTRE Nicolas Clément

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