NOUVELLE VOIE AUSTRALE – AVEC LES AFFLIGÉS, L’AUSTRALIEN CHRIS WOMERSLEY TREMPE LE ROMAN NOIR DANS UN CERTAIN RÉALISME MAGIQUE. INCONFORTABLE PARFOIS, MAIS NOVATEUR.

DE CHRIS WOMERSLEY, ÉDITIONS ALBIN MICHEL, TRADUIT DE L’ANGLAIS (AUSTRALIE) PAR VALÉRIE MALFOY, 340 PAGES.

Pour son premier roman déjà ( The Low Road, pas encore traduit chez nous, mais déjà annoncé vu le succès de ses Affligés en Australie et ailleurs), Chris Womersley avait pris le pli de l’étrange et d’un certain inconfort: aux lecteurs de finir son roman.  » C’était déjà un « crime book » rempli de questions existentielles, comme Les Affligés. J’avais pris soin de n’y préciser aucun lieu, aucune date. Au lecteur de choisir. » Exactement comme dans Les Affligés: au sortir de ce roman plein de souffle, chacun se fera sa propre religion. N’était-ce qu’un rêve, ou la réalité crue? Chris Womersley, rencontré au festival Etonnants Voyageurs, se gardera de répondre clairement à cette question:  » Je n’en sais trop rien moi-même. »

Les Affligés démarre comme un polar: on découvre le jeune Quinn Walker, un couteau à la main, au-dessus du cadavre égorgé et violé de sa jeune s£ur. Il prend la fuite, et profite de la Première Guerre mondiale pour disparaître. Enfin, « profite »à Quinn revient en 1919, gueule cassée, à moitié sourd, et victime de ce que l’on n’appelait pas encore « stress post-traumatique ». Et il rencontre une jeune fille, Sadie, parfaite copie de sa s£ur, qui va l’aider à résoudre ce crime abominable dont il n’était pas coupable. A moins que Sadie ne soit que le fruit de son imagination, seule flèche à son arc pour décrocher le droit de supporter l’insupportable? Sans doute faudra-t-il relire Les Affligés pour se forger une opinion tranchée, si nécessaire.  » Mais c’est ça que j’aime, et le plus beau compliment qu’on puisse me faire! J’aime laisser de la place au lecteur, et à son interprétation. Il doit pouvoir se forger sa propre opinion. L’ambiguïté est une chose passionnante. »

Réalisme magique

Chris Womersley, bien que jeune auteur, assume donc le fait de bousculer une littérature australienne qui a du mal à s’exporter – » nous en sommes encore à discuter sur des clivages un peu vains, entre littérature avec un grand « L » et récits très réalistes, plus terre à terre, et franchement ennuyeux »– et d’y injecter un peu de réalisme magique comme on en connaît dans la littérature sud-américaine et en particulier dans les livres de Garcia Marquez.  » C’est une grande influence. J’aime ses personnages, son lyrisme, cette manière d’être capable de rendre pensables des choses impensables… C’est aussi pour ça, entre autres, que j’ai choisi de placer mon récit en 1919, au lendemain d’une guerre encore très présente dans les esprits en Australie, au moment où une effroyable épidémie de grippe espagnole frappait le pays. Un vrai fléau de Dieu, dans une atmosphère où la magie, le spiritualisme, les croyances aux forces occultes, étaient encore très présents dans les populations. Parfait pour mon récit qui tente de jouer sur le flou, et sur les frontières entre rêve et réalité. » Une spiritualité omniprésente dans Les Affligés, inédite dans un roman noir, et au centre des préoccupations d’écrivain de Chris Womersley:  » Je m’intéresse à la manière dont on croit certaines choses juste pour donner du sens au monde qui nous entoure. Ça peut être la religion, une idéologie politique, peu importe. Toutes ces histoires que l’on se raconte pour rendre le monde supportable. » l

OLIVIER VAN VAERENBERGH, À SAINT-MALO

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