Personnalité trouble, l’artiste Jackson aura marqué son temps. A défaut d’avoir créé quoi que ce soit, il a tout inventé ou presque de la pop moderne. Récapitulatif des faits.

1. La signature vocale

Ils deviendront sujets de pas mal de moqueries et parodies. Pourtant, les tics vocaux de Jackson auront souvent emmené ses chansons ailleurs. Dès la période Jackson Five, le jeune Michael quitte régulièrement les vocalises sucrées pour faire un tour dans l’harangue gospel, voire carrément « Jamesbrownienne » ( ABC). Il se singularise plus tard en parsemant ses lignes de chant de simples ponctuations. Une sorte de respiration hachée, entre hoquets et couinements. En 78, par exemple, les Jacksons – quitte du Five, depuis qu’ils ont largué la Motown deux ans plus tôt – sortent Destiny. C’est le premier album sur lequel ils ont intégralement la main. Cela s’entend. Sur le single Shake Your Body (Down To The Ground), Michael Jackson peut se laisser aller, ponctuant le titre de petits gimmicks vocaux. Il ne cessera plus de les utiliser, ni de les hacher. Y compris jusqu’à la caricature.

2. La danse

Le 25 mars 1983, à l’occasion du grand show télé organisé pour les 25 ans du label Motown, Michael Jackson interprète Billie Jean. C’est à cette occasion qu’il effectue son fameux moonwalk. Un pas qu’il n’a certainement pas inventé (il était déjà courant dans la danse hip hop, qui lui-même le doit aux travaux de mime corporel d’Etienne Decroux), mais qui restera à jamais sa marque… De l’âge d’or de la comédie musicale américaine aux pas frénétiques de James Brown, Jackson pioche partout et finit par inventer sa propre grammaire. Moins basée qu’on ne le pense sur le groupe que sur des solis, souvent hachés, saccadés, volontiers suggestifs aussi. Aujourd’hui encore, cette grammaire continue de dominer la scène r’n’b en particulier, pop en général, de Beyonce à Justin Timberlake.

3. Le crossover

Pour avoir débuté à la Motown, usine à tubes noirs formatés pour un public blanc, Jackson a toujours cherché à rassembler. Avec Thriller, il force par exemple les portes de MTV, peu encline jusque-là à mettre de la couleur dans ses grilles. Jusque dans son apparence physique, Jackson symbolisera le crossover. Quitte à devenir une sorte de mutant, plus vraiment noir, pas tout à fait blanc. Et après tout, peu importe, puisqu’au bout du compte, c’est encore et toujours le vert qui compte: la couleur du dollar qui lui ouvre toutes les portes. Ce numéro d’équilibriste (schizophrène?), Jackson l’applique en fait à tout ce qu’il touche. Capable de poser candidement à côté de E.T. avant de balancer le clip de Thriller, de cultiver son allure d’homme-enfant tout en multipliant dans ses clips les gestuelles sexuellement agressives… Avec Michael Jackson, la pop est d’abord une matrice, un filtre capable de tout transformer: le noir en blanc, le blanc en noir, le ridicule en épique. Et les tourments intérieurs en spectacle planétaire…

4. L’über-star

Elvis, les Beatles, les Stones, Dylan… Tous sont devenus des icônes culturelles du XXe siècle. Elles restent cependant attachées à une révolution esthétique occidentale. Avec Michael Jackson, la pop devient un langage commun universel. Un média de masse qui touche le monde entier. De l’Amérique à l’Afrique en passant par l’Europe de l’Est – en 89, il est le premier artiste de l’Ouest à apparaître dans une pub en Russie soviétique. Star du Village global, il joue du gigantisme et de la mégalomanie, typiques de son époque: celles des années 80, des années fric. Aujourd’hui, tout cela a bien changé. L’Ancien Régime se craquèle de toutes parts, le modèle économique du disque a explosé en vol, les goûts mêmes du public se sont balkanisés. Du coup, on voit mal comment une domination aussi écrasante que celle de Michael Jackson pourrait encore voir le jour. Le dernier monstre?

5. Le capitaine d’entreprise

Début des années 80, l’industrie du disque subit une première crise. Il faudra le triomphe de Thriller pour relancer l’optimisme dans le secteur. Jackson se retrouve ainsi en position de force par rapport à sa maison de disque, imposant notamment des taux de royalties inédits. Evoquant le succès de Thriller, le critique Greil Marcus écrit ainsi dans Lipstick Traces: « C’était la première explosion pop à ne pas être jugée en fonction de la qualité subjective des réponses provoquées, mais à être mesurée au nombre objectif des échanges commerciaux provoqués. »

6. L’image

Dès le départ, Michael Jackson joue avec la réalité et l’image. Quand la Motown lance les Jackson Five, soi-disant découverts par Diana Ross, Michael est officiellement âgé de 9 ans, alors qu’il en a deux de plus. De tout temps, la pop music a volontiers travesti les faits. Dans les années 80, le jeu devient cependant plus perfectionné ou pervers, c’est selon. Cela passe par les vidéos ou même les pubs, qui profitent de l’image deJackson autant qu’elles l’alimentent (voir l’épisode Pepsi). Aussi maîtrisée soit-elle, la communication maison enregistrera cependant aussi des dérapages: c’est Jackson lui-même qui lance les rumeurs sur le caisson à oxygène dans lequel il était censé passer ses nuits…

7. Le clip

Tout a été dit ou presque sur les 14 minutes de Thriller, clip-étalon, régulièrement élu meilleure vidéo de l’histoire de la pop. La réalisation de John Landis (il a sorti Le Loup-Garou de Londres deux ans plus tôt), la danse des morts-vivants (allégorie du peuple noir, citoyens américains de seconde zone), la précaution prise par Jackson en préambule ( « ce film n’endosse en aucune manière une quelconque foi en l’occulte »)… Thriller a beau avoir pris quelques poils (…), on y trouve au moins un second degré qui fait parfois défaut plus tard (au hasard, la vidéo de Bad). Mais la question n’est pas là. Réussi ou pas, Michael Jackson est le premier à faire le pari de rendre inséparable le son et l’image. Peut-on imaginer Beat It sans les chorés à la West Side Story? Billie Jean sans les pavés lumineux?…

Texte Laurent Hoebrechts

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