LA FIGURE DU TRIANGLE AMOUREUX EST UN CLASSIQUE AU CINÉMA. LE TRÈS ATTACHANT TAKE THIS WALTZ NOUS EN RAPPELLE L’ÉVIDENCE.

Dans la géométrie amoureuse telle que le 7e art la dessine, le triangle est une figure prisée. L’amour heureux se trace en surface plane, en parallèles d’harmonie, parfois brisée par le destin (un accident, une maladie) ou interrompue par quelque obstacle généralement surmonté avant le générique final. Mais bien plus excitant, dramatiquement parlant, est ce triangle mettant le couple à l’épreuve d’un ou d’une autre, rival(e) d’une nuit, d’une aventure, ou même parfois d’une vie. On se trompe, on se quitte, on se retrouve… ou pas, au fil du désir et des sentiments. La sortie du beau film de Sarah Polley, Take This Waltz (lire critique page 30), où Michelle Williams hésite entre compagnon et amant, offre une variation touchante, et invite à se remémorer tous ces triangles cinématographiques filmés depuis plus d’un siècle. Des triangles quelquefois équilatéraux, quand l’amour se partage et que le couple vient à se transformer en ménage à trois…

Du rire…

Trois c’est trop! Dans un contexte culturel et social faisant de la monogamie sa norme, en tout cas. Le déséquilibre presqu’obligé du triangle amoureux ne pouvait qu’intéresser romanciers, dramaturges, compositeurs, paroliers et bien sûr cinéastes, tous friands de situations tendues, complexes, génératrices de suspense et d’implication du public. Le génial Ernst Lubitsch est sans doute le premier grand exemple de réalisateur passé maître en la matière. Dès la période « muette », mais surtout à l’arrivée du parlant, durant ces années 30 dont il fut le prince avec son humour décapant et ses mises en scène aussi brillantes qu’élégantes. Trouble In Paradise (1932) a par exemple pour héros un couple d’escrocs de haut vol, perturbé par l’attirance de Gaston pour la belle dame… qu’il vient de cambrioler, à charge pour Lily de remettre les points sur les i. Design For Living (1933) est encore plus explicite, qui met une artiste de music-hall prénommée Gilda sur la route (sur le train, en fait) de Tom et George, un auteur dramatique et un peintre. Les trois devenant inséparables, au prix d’un « gentleman’s agreement » limitant leurs rapports à une amitié platonique… provisoirement au moins! Lubitsch fera d’autres variations sur le thème, comme dans ce chef-d’£uvre qu’est To Be Or Not To Be (1942). Avec le gag génial et récurrent de l’acteur shakespearien voyant un jeune spectateur, à chaque fois qu’il entame le très fameux monologue d’ Hamlet, se lever dans la salle pour aller rejoindre dans sa loge une épouse dont il soupçonne l’infidélité… Le triangle amoureux a continué à inspirer la comédie, notamment chez Billy Wilder. Avec en points d’orgue Sabrina (1954) et Some Like It Hot (1959). Dans le premier, Audrey Hepburn voit son c£ur balancer entre les deux fils de bonne famille avec qui, fille du chauffeur de la maison, elle a grandi. Le second réunissant deux musiciens (Jack Lemmon et Tony Curtis) fuyant des gangsters et une irrésistible Marilyn Monroe. Situation corsée par le fait que les deux fugitifs se sont travestis en femme pour intégrer l’orchestre exclusivement féminin où se produit la belle!

… aux larmes

Si la comédie sentimentale continue jusqu’à aujourd’hui à pratiquer le triangle (voir encore très récemment This Means War, où deux agents secrets se disputent Reese Witherspoon), la figure n’a pas manqué par ailleurs d’inspirer le drame, le thriller, le film noir. On a vu fleurir nombre de polars vénéneux, façon The Postman Always Rings Twice ou Double Indemnity, tous deux adaptés de romans de James M. Cain. La jalousie, le désir adultère, l’avidité matérielle parfois, font alors d’une des pointes du triangle (le mari, bien sûr) un élément à gommer, le plus souvent violemment. S’il ne perd pas la vie comme celui des Noces rouges de Claude Chabrol, l’époux peut lui aussi trucider sa femme adultère comme le fait Anthony Hopkins dans Fracture. Ou alors, cela va sans dire, éliminer l’amant, tel le mari trompé de La Femme infidèle de Chabrol encore. Sans aller jusqu’au meurtre, la concurrence que suppose l’amour à la triangulaire est source de fréquentes souffrances, de tensions et d’oppositions mettant à l’épreuve d’autres liens comme l’amitié. Ainsi de la rivalité entre Harry Potter et Ron Weasley pour les beaux yeux d’Hermione Granger, ou de celle entre Edward Cullen et Jacob Black pour ceux de Bella Swan dans la saga Twilight. Le romantisme persistant des séries cinématographiques destinées au public adolescent n’oubliant presque jamais d’intégrer un triangle comme le fit James Cameron dans Titanic, film matriciel s’il en est…

Le 7e art nous a offert bien d’autres variations, sur le mode joyeusement libertaire ( Les Valseuses de Blier) ou cruellement familial (le Brothers danois et son remake américain), sous l’angle bi ou homo ( Basic Instinct, Nettoyage à sec, Douches froides, Les Amours imaginaires), dans la tradition littéraire ( Les Liaisons dangereuses, The Unbearable Lightness Of Being) ou dans le mystère ( Notorious d’Hitchcock), avec la fausse légèreté d’un Woody Allen dans Manhattan, Match Point et Vicky Cristina Barcelona (où le triangle se fait presque carré) ou avec le lyrisme intense de James Gray dans Two Lovers. Sans oublier bien sûr le chef-d’£uvre de François Truffaut, ce bouleversant Jules et Jim, élevant le ménage à trois au rang de fulgurance poétique.

TEXTE LOUIS DANVERS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content