NATALIE PORTMAN BRILLE DE MILLE FEUX DEVANT LA CAMÉRA DE DARREN ARONOFSKY, POUR QUI ELLE INTERPRÈTE, DANS BLACK SWAN, UNE BALLERINE QUE SA QUÊTE DE LA PERFECTION ENTRAÎNE VERS L’ABÎME.

Dans le genre performance qui frappe les esprits, celle de Natalie Portman dans Black Swan se pose un peu là, taillée dans le bois dont se chauffent les Oscars, ce qui, pour une actrice américaine, a tout de la consécration. On ne hurlerait certes pas au scandale si la comédienne devait troquer, dans la nuit de dimanche à lundi, sa couronne de reine des cygnes pour celle de queen of Hollywood. Découverte à la faveur du Leon de Luc Besson, Natalie Portman a ensuite gravi une à une les marches de la renommée au gré d’un parcours qui ne laisse pas d’impressionner -Michael Mann, Woody Allen, Wong Kar-Wai ou Wes Anderson comptent ainsi parmi les cinéastes qui se la sont arrachée. Et ne parlons pas des spectateurs: on en connaît même qui seraient prêts à s’enquiller l’intégrale des Star Wars 2e génération pour le seul plaisir de l’apercevoir entre les effets spéciaux, dans ce qui constitue la parenthèse blockbuster d’une carrière qui l’a vue privilégier les projets ambitieux.

Ainsi, bien sûr, du film de Darren Aronofsky, où elle incarne une ballerine du New York City Ballet promise au premier rôle du Lac des cygnes, mais que sa quête obsessive de la perfection entraîne vers l’abîme. Si l’expression n’était à ce point galvaudée, on dirait de Natalie Portman qu’elle y trouve le rôle de sa vie, de ceux qui se déploient dans une autre dimension, pas moins. Encore fallait-il y mettre le prix, à la prouesse physique se greffant une éprouvante facette psychologique. La jeune femme que l’on retrouve sur la terrasse de l’Excelsior, au Lido de Venise, ne dit rien d’autre, goûtant avec un plaisir non feint son retour à la vie « normale »: « C’est un rôle qui m’a accompagnée longtemps après le tournage, commence-t-elle. Je m’en débarrasse à peine, alors que le film est terminé depuis un an. Ce fut une expérience extrême, tant sur le plan physique que sur celui des émotions, tout en représentant une opportunité exceptionnelle. »

Jusqu’à l’obsession

Pour l’actrice, l’aventure Black Swan débuta il y a 8 ans déjà, lorsque Darren Aronofsky l’approcha pour lui parler du film, évoquant, lors de leur conversation dans un café de Times Square, Le double de Dostoïevski, et l’univers du ballet -un monde qui n’était pas totalement inconnu de Portman, qui avait tâté de la danse classique avant de voguer vers d’autres horizons. « D’emblée, j’ai été intéressée par l’aspect psychologique d’une histoire qui met en scène un personnage affichant un ego surdimensionné, sans pour autant avoir d’identité propre au départ », observe-t-elle, avant d’ajouter avoir mis à profit la valse des années pour mûrir le profil psychologique de Nina, et ses métamorphoses. Le défi n’en restera pas moins de taille: « Il m’était déjà arrivé de travailler sur des projets aussi stimulants sur le plan émotionnel, mais sans y ajouter la dimension physique que l’on trouve dans Black Swan . Il est rare, pour un acteur, de penser autant à sa physicalité. Devoir s’exprimer avec son corps et par des mouvements plutôt que par des mots était un défi étonnant. Il fallait réussir à montrer, à travers la danse, comment la personne rigide et timide qu’elle est au départ se libère peu à peu.  »

Cet exercice, l’actrice s’en acquitte avec une maestria proprement stupéfiante, fruit d’une préparation minutieuse et d’un travail soutenu. Et d’égrener les heures d’un entraînement entamé un an avant le tournage, pour s’intensifier à mesure que l’échéance approchait; jusqu’à l’obsession, pour ainsi dire, en un écho troublant au propos du film. « Ce fut vraiment une immersion totale, et une expérience extrême, du fait aussi que nous avons travaillé avec un budget modeste. L’argent dont nous disposions est parti dans les effets, et le budget réel de tournage s’en est trouvé réduit à peau de chagrin. Nous avons tourné très vite, dans des conditions spartiates, et ce n’était que le travail, constamment, sans jamais pouvoir se relâcher. Ce tournage a requis un degré incroyable de discipline et de concentration, nous ne vivions littéralement que pour cela. »

Les mues de Miss Portman

De là à se mettre en danger, à l’instar de la Nina qu’elle incarne à l’écran, et qui fera plus que laisser des plumes dans sa quête maladive de perfection? « J’ai ressenti pour la première fois sur ce film combien l’immersion complète pouvait vous déséquilibrer. Et c’est effrayant. Mais j’ai la chance de faire un boulot où je peux faire semblant d’essayer un tas de choses, et cela me convient fort bien: le danger ne m’intéresse pas plus que cela. » Ce n’est pas Natalie Portman que l’on prendra en défaut de lucidité, en effet, elle qui confesse encore avoir attendu de se sentir assez forte, et sûre de son identité, avant de se laisser aller à des choix de carrière plus audacieux, comme elle en posa par exemple dans Closer avant Black Swan. Et qui refuse, nonobstant la difficulté du rôle qu’elle joue dans ce dernier film, de voir dans le sacrifice le passage obligé de la création -s’inscrivant en cela en faux par rapport à son personnage: « Je ne pense pas qu’il faille se sacrifier pour créer, pas plus qu’il ne faille souffrir. Mais pour créer une nouvelle part de soi, il faut laisser mourir quelque chose. Il y a, à mes yeux, une connexion classique entre la découverte de nouvelles facettes de sa personnalité et la disparition d’autres éléments…  »

Le mot de la fin? « Darren et moi, nous communiquions de façon presque télépathique, un demi-mot suffisait pour que je sache ce qu’il voulait dire. Je n’avais jamais connu cela auparavant, et rien que ça, c’était déjà surprenant. J’ai consacré un an de ma vie à ce film, mais c’est certainement le projet le plus stimulant auquel j’aie jamais été associée. » Ce qui ne l’a pas empêchée d’aller se « désintoxiquer » du tournage sur celui du Thor de Kenneth Branagh, qu’elle entama dans la quinzaine suivante: « Cela peut sembler complètement fou, mais cela s’est surtout révélé on ne peut plus rafraîchissant. Je me suis retrouvée dans une grande caravane, avec de longs breaks, et je me suis souvenue que le cinéma ressemblait aussi à cela. » Ainsi s’envole Natalie Portman, en toute liberté…

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À VENISE

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content