KID MARQUE UN PREMIER SOMMET DANS L’OEUVRE DE LA JEUNE RÉALISATRICE BELGE, ENTRE MAÎTRISE FORMELLE ET OUVERTURE ORGANIQUE À L’ÉMOTION DU MONDE.

Certains films, souvent les meilleurs, sont comme de petits mondes, des bulles d’éternité où le spectateur voit, respire et ressent à l’unisson d’une étrangeté si proche, l’espace d’une heure et demie où le temps réel semble s’être arrêté. Kid (lire critique page 30) est une de ces parenthèses enchantées (Beasts Of The Southern Wild, tout récent Grand Prix de l’Union de la Critique,en est une autre), une de ces oeuvres si précieuses où foi en l’art et foi en l’humain s’épousent pour le meilleur. Fien Troch a inscrit l’enfance au coeur de son film. Et dans la foulée, la jeune réalisatrice, fille du monteur réputé Ludo Troch, a fait un bébé!

L’enfance est depuis le départ très présente dans votre travail…

J’en ai vite été consciente. Mais dans mes deux premiers films, les enfants n’étaient pas au centre, ils étaient là pour montrer le monde des adultes, l’éclairer de leur regard. Je n’ai jamais mis d’enfants dans mes films pour faire rire ou attendrir. Même en tant que personnages secondaires, ils avaient un rôle déterminant. Avec Kid, j’ai voulu faire un film où ils puissent être les personnages principaux. Un film où toute l’information que le spectateur peut recevoir est celle que reçoivent les enfants. Il n’y a pas dans Kid d’apartés entre adultes. J’ai bien aimé cette idée, moi qui ai toujours affectionné le non-dit, les difficultés de communication pour mon cinéma. C’est toujours le même choix personnel, mais cette fois-ci j’ai une excuse! Comme j’en ai une d’introduire dans le drame des moments plus légers, parce que des enfants, ça joue, ça s’amuse, même quand le contexte est très dur, très triste…

Vous installez, autour et dans la ferme où vivent Kid et les siens, une tension permanente et palpable…

Cette idée d’établir une tension particulière était présente dès le début de l’écriture, mais elle restait évidemment assez abstraite à ce stade des choses. Je voulais que cette tension soit très prenante, d’où les petits moments plus légers dont je parlais et qui sont indispensables pour pouvoir la supporter jusqu’au bout. Naturellement, je ne vais pas vers des histoires classiques, faisant voir plein de couleurs et d’ambiances contrastées. Je préfère travailler une émotion, en ne ménageant que peu de relâchement… On a retrouvé tout ça au montage, dans le travail avec la musique aussi. Il fallait soit pas de musique du tout, soit une musique qui augmente cette tension, au point qu’on ait envie par moments qu’elle s’arrête pour pouvoir respirer…

La région où se déroule le film est très particulière dans le paysage belge et flamand. Comment l’avez-vous choisie?

Au départ, j’avais simplement imaginé deux enfants, et la liberté qu’offre une vie à la campagne. Mais très vite j’ai repensé aux lieux où j’ai moi-même grandi. Je suis née à Londerzeel, mais ma mère étant originaire de Campine, j’ai passé aussi pas mal de temps là-bas, durant les vacances. Ça m’a donné un double sentiment. D’une part une certaine nostalgie, une certaine mélancolie aussi vis-à-vis d’une région où je vais encore pour voir ma grand-mère qui y vit toujours. Et de l’autre un sentiment « unheimlich », d’inquiétude diffuse, où je ne me sens pas tout à fait à l’aise. Ma famille était très gentille, mais aussi très stricte. Et puis j’étais une petite-fille qui partait là-bas sans papa et maman, certes à une heure de chez moi seulement mais avec un autre paysage, un autre dialecte, un autre mode de vie, plus réservé, plus rigide… Avec ces souvenirs en tête, je suis partie en repérage avec mon chef opérateur, au stade de l’écriture déjà. C’est à travers cette redécouverte, alimentée par son regard extérieur à lui, que j’ai pu réaliser que la magie particulière, ambiguë, des lieux, ne tenait pas qu’à ma subjectivité d’enfant (rire)!

Kid est le plus épuré de vos films. Quel est le but de cette recherche formelle?

J’aime, comme spectatrice, avoir l’impression qu’il y a dans l’image d’un film de la place pour faire évoluer librement mon regard. Et quand je réalise un film, je veux que le spectateur aie lui aussi cette liberté. Je crois que ce goût personnel existe au départ, et que je cherche des sujets propres à s’y inscrire au mieux. Je vais vers l’épure, je parle d’incommunicabilité. Et j’ai moi-même quelque difficulté à exprimer mes émotions. Mais rassurez-vous: ma vie n’est pas à l’image de mes trois premiers films (rire)!

Les références au cinéma de Dreyer qui peuvent venir à l’esprit devant Kid vous semblent-elle pertinentes?

Même si je les ai découverts tard (à l’école de cinéma), Dreyer et Bresson sont deux réalisateurs qui m’ont marquée… après m’avoir un peu dérangée, m’avoir fait me sentir mise à distance. Bresson d’abord, Dreyer ensuite, quand j’ai revu ses films à la Cinémathèque il y a 4 ou 5 ans, pour m’inspirer. Cela m’a aidée à imaginer comment je pouvais montrer les gens, les émotions.

Vous avez choisi des interprètes non professionnels, dont la plupart ont des physiques, des visages, qu’on dirait sortis de tableaux de la peinture flamande des XVe et XVIe siècles!

Que vous l’ayez remarqué me fait infiniment plaisir! J’avais beaucoup de peintures dans ma tête, des éléments d’esthétique picturale. Mais aussi, plus simplement, j’avais décidé de prendre mes interprètes dans la population locale, et j’y ai trouvé tant de ces visages formidables, vrais, qui ont vécu, et qui m’ont fait me sentir plus belge que jamais, proche de ce passé humain et artistique qui est le nôtre, et que la peinture a incarné mieux que tout autre art!

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