UN ROMAN RUSSE – VIRGINIE DELOFFRE SIGNE UN PREMIER ROMAN MAGISTRAL SUR FOND DE DISLOCATION D’EMPIRE, MARQUÉ D’UNE FOI INÉBRANLABLE DANS L’ÂME RUSSE.

DE VIRGINIE DELOFFRE, ÉDITIONS ALBIN MICHEL, 268 PAGES.

Dernière lauréate du Prix Première de la RTBF, Virginie Deloffre nous emmène dans l’ex-Union Soviétique de 1987 à 2003, avec quelques détours par un tsarisme moribond, l’élaboration du léninisme puis la dictature de Staline. Et c’est dans ce tourbillon historique qu’elle plante la figure attachante de Léna. Léna est au départ une petite orpheline au sang esquimau qui a assisté impuissante à la disparition de ses parents engloutis par la banquise lors du dégel. Regroupement familial oblige, elle sera élevée par un couple aussi curieux qu’improbable, résultat de l’£uvre de la collectivisation stalinienne – » car chez nous les Soviétiques, un homme seul ça n’existe pas. » Varvara est veuve et ses enfants sont partis, elle a travaillé sous le joug du Petit Père pour soutenir les plans quinquennaux; lui est un intellectuel déplacé dans une région inhospitalière pour avoir un peu trop soutenu une déstalinisation rapide. Ce drôle de trio va donc devoir s’apprivoiser, se heurter, s’affronter sur le destin de l’Empire vacillant. Varvara est adepte d’un communisme simpliste qui la rassure et justifie sa sujétion; Dimitri, par contre, croit en la perestroïka; et la petite Léna grandit heureuse, entourée de ces deux âmes typiquement slaves jusqu’au jour où elle rencontre son futur époux, le lieutenant Vassili qu’elle suivra dans une maison communautaire.

Guerres brûlantes

Léna est devenue une jeune femme contemplative, immobile, comme sur la banquise quand, petite, elle espérait que ses parents ressurgissent de l’eau glacée. Sa vie est rythmée par les départs et les retours routiniers de Vassia à la base aérienne où il travaille. Mais Léna a besoin de cette monotonie qui la protège du malheur comme elle a besoin de l’ignorance qui lui permet d’hiberner en toute sérénité. Un jour cependant sa vie rassurante bascule: la Guerre froide sévit et avec elle, la course effrénée à la conquête spatiale; Vassia est désigné pour un vol de six mois à bord de la navette spatiale Mir. Il faut être les premiers, surprendre ces Américains par la démesure. Léna ne comprend pas comment  » on ose ainsi défier la lune ». Mais Vassia est ambitieux, il veut être  » l’homme nouveau », celui qui combat la pesanteur, l’homme léger qui vole.

Pourtant, une fois encore, par amour, Léna accepte sa nouvelle vie, elle tente de comprendre que la conquête de l’espace puisse être » leurs cathédrales, à ces hommes du XXe siècle, les hommes sans Dieu et l’homme a besoin de cathédrales, de quelque chose qui le dépasse ».

Virginie Deloffre nous raconte ici l’histoire poignante de ce peuple qui a perdu la Guerre froide  » parce qu’elle était froide justement. Nous les Russes, nous ne gagnons que les guerres brûlantes« . L’histoire aussi de la dislocation d’un empire et les appréhensions de ces gens qui ont perdu leur âme au contact de l’Occident.

On jurerait que Virginie Deloffre a du sang esquimau pour parler avec autant d’amour, autant d’émotion et de féerie de ces régions reculées où survit un peuple qui lutte pour sa terre. l

MARIE-DANIELLE RACOURT

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