On pourrait presque en faire un postulat: une démocratie se définit par la variété des choix politiques, économiques, affectifs, voire sexuels offerts à ses locataires. Sur le papier, l’équation tient la route. Les dictatures tolèrent rarement la concurrence ou la frivolité. Et dans les magasins d’Etat du bloc soviétique, les consommateurs -pardon, les camarades- n’avaient souvent à se mettre sous la dent que du saucisson pour agrémenter un quotidien pas vraiment folichon. Alors que nos supermarchés croulent sous les denrées et que les partis politiques, même les plus farfelus, sont invités à la fête. A croire que la liberté de choix est devenue un droit inaliénable. N’est-elle pas d’ailleurs coulée dans le marbre des institutions européennes? Un commissaire et son armée de fonctionnaires veillent au grain, chassant sans relâche toute dérive monopolistique. Il y aurait donc un lien quasi organique entre le degré d’émancipation d’une nation et le foisonnement des modes de consommation et de vie qui sont comme les pistons entraînant le moteur d’un certain bien-être. Plus de 5000 nouvelles références par an au rayon BD. Pas loin de 2000 pour les romans en français. Plus de 600 films produits dans le monde. Rien que dans la galaxie culturelle, c’est l’embouteillage. Jusqu’au vertige parfois. Qui peut espérer digérer cette masse informe? Le rêve universaliste de Diderot a vécu. Et avec lui l’illusion réconfortante de pouvoir saisir le monde dans sa globalité. D’autant que cette éthique du choix ne s’arrête pas aux objets. Elle déteint sur nos m£urs et nos pensées. Il ne s’agit pas seulement d’avoir à disposition un assortiment de marques de petits pois. Il s’agit aussi et surtout de pouvoir reconfigurer à sa guise sa propre personne. Do it yourself. L’individu s’est mué en pâte à modeler qui peut épouser, moyennant un peu de bonne volonté, la forme de ses désirs. D’où l’avalanche de livres de coaching, de développement personnel, de régimes… Changer de sexe, de nom, d’apparence, tout est dés-ormais permis. Une liberté post-moderne encouragée par la pub, par la voix des médias et par un climat idéologique qui prône le self-made-man. Encouragée ou dictée? Trop de choix ne tue-t-il pas le choix? N’est-ce pas un leurre de penser que l’on peut maîtriser tous les paramètres, sociaux, biologiques, symboliques, qui feront de nous les pygmalions de nos propres fantasmes? La tyrannie du choix engendre angoisse et désillusion, soutient la philosophe et sociologue Renata Salecl dans un essai qui accuse cette culture asphyxiante de la prolifération. Car derrière la doctrine de la prétendue libération se cache le fardeau de la responsabilité. En cas de succès -un concept flou et visqueux-, vous empochez le jackpot narcissique, mais en cas d’échec, vous serez seul à porter le fardeau. Or, le risque de se tromper de direction, avec ses conséquences fâcheuses, est plus grand dans un carrefour que sur une route droite comme un général nord-coréen. Faut-il faire marche arrière pour autant? On prend la liberté de ne pas… choisir.

PAR LAURENT RAPHAËL

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content