Il n’est jamais trop tôt… Une consigne affichée en lettres capitales dans les couloirs de l’industrie culturelle, et plus particulièrement aux étages musique et cinéma. Jamais trop tôt pour lâcher dans la nature un single alors que l’album n’atterrira dans les bacs que deux ou trois mois plus tard (on peut ainsi se caresser l’oreille avec un titre du nouvel album de Scarlett Johansson prévu pour septembre). Jamais trop tôt non plus pour annoncer la sortie d’un film quand bien même l’encre du scénario n’est pas encore sèche (à Hollywood, où l’on doit avoir des agendas épais comme le mollet de Peter Jackson, on en est déjà à fixer des dates de release pour 2011 ou 2012, comme pour Transformers 3 ou The Avengers). Mais qu’importe ces détails, il faut occuper le terrain, aiguiser l’appétit. Avant, on avait juste droit aux bandes-annonces, petites madeleines anticipant sur des sensations et frissons à venir. Aujourd’hui, époque abonnée à la surenchère, on se coltine en plus les bandes-annonces des bandes-annonces. Sous la forme de teasings balancés sur le Net (plus d’un an avant pour Watchmen), de scies radiophoniques (dernièrement, Comme des enfants de C£ur de pirate) ou de communiqués de presse dégoulinant de maquillage (pour annoncer par exemple des concerts qui auront lieu douze mois plus tard). Autant de petits biscuits que la bête médiatique, insatiable et peu regardante sur la marchandise, ingurgite aussi sec. Problème: à force de filer le train à tous les lièvres qui passent, on finit par s’essouffler en route. De sorte que quand la plaque sort enfin, quand le film sort finalement de sa chrysalide, au mieux on a l’impression d’avoir déjà donné, au pire on est passé à autre chose, happé par le nouveau buzz du moment. On a ainsi vu naître une nouvelle espèce: les spécialistes de l’effleurement. Ils n’approfondissent plus rien, ils se contentent de rebondir d’un appât à l’autre, aspirant juste l’écume des £uvres encore en gestation. Ces hédonistes anxieux – hédonistes parce qu’obsédés par l’idée de tout goûter, anxieux parce que forcément insatisfaits à force de glisser sur la surface des choses – pourraient donner des idées aux capitaines d’industrie. Nous rassasier de trailers, d’avant-goûts, d’aperçus, sans plus se donner la peine de développer jusqu’à leur terme des projets qui n’intéresseront de toute façon qu’une minorité. On tomberait alors dans la culture zakouski. Au menu, que des mises en bouche… Beurk. l
Par Laurent Raphaël
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