AVEC MARGUERITE, XAVIER GIANNOLI SIGNE UN FASCINANT PORTRAIT DE FEMME, CELUI D’UNE CANTATRICE À QUI SON ENTOURAGE CACHE QU’ELLE CHANTE ATROCEMENT MAL. UN FILM GIGOGNE, AVEC CATHERINE FROT, IMPÉRIALE.

Voilà une quinzaine d’années et une demi-douzaine de films que Xavier Giannoli creuse un sillon qui en a fait l’un des auteurs les plus intéressants du cinéma français. Si Superstar, son dernier opus en date, avait quelque peu déçu, Marguerite le voit aujourd’hui renouer avec une veine voisine de celle de l’impeccable A l’origine. Soit le portrait d’une femme à la poursuite d’une chimère dans laquelle l’entretiennent ses proches, elle qui s’imagine cantatrice tout en chantant atrocement faux, et un film qui devait déclencher un bel enthousiasme à la Mostra de Venise.

Giannoli est un passionné, mais lorsqu’on le retrouve dans une suite ouvrant sur la plage de l’Excelsior, le coeur n’y est pas tout à fait. A l’image du monde, abasourdi, le réalisateur a découvert quelques heures plus tôt la photo du petit Aylan Kurdi échoué sur une plage, « l’une des plus importantes du XXIe siècle, pose-t-il, secoué. Mais voilà, il faut parler de cinéma… » Bien que situé dans le Paris des Années folles, son film n’est d’ailleurs pas sans résonner avec l’époque contemporaine: « Je ne fais pas de cinéma politique, mais j’essaie de trouver dans le romanesque de l’histoire une vérité humaine qui échappe au simple film social ou politique, commence-t-il. Avec Marguerite, je parle de quelqu’un victime de ses illusions, et c’est quand même notre histoire à tous, dans le monde d’aujourd’hui, et cette société du spectacle, où l’on nous fait croire que la solution à nos problèmes ne peut être qu’économique, comme on nous a fait croire qu’elle était politique, et avant ça religieuse. Quand je vois cette photo, il y a quelque chose de la réalité qui vous saisit. Et même si on a besoin d’illusions pour vivre, je me dis que dans mon film, il est quand même question, de façon modeste et éloignée, de la violence du rapport à la réalité. »

Une forme de bovarysme

De l’enseignement de Maurice Pialat, Xavier Giannoli raconte avoir retenu une leçon essentielle: un metteur en scène se doit de proposer une vision personnelle. Précepte parfaitement assimilé par un auteur dont la filmographie présente une belle cohérence. Si, dans A l’origine, il était question d’un personnage prisonnier de son mensonge, on trouve en Marguerite une femme à qui tout le monde ment, en quelque effet miroir au coeur d’un même jeu d’illusions. Quant à savoir ce qui le ramène à cette thématique: « J’essaie de comprendre. Je pense avoir eu la chance, comme beaucoup d’enfants, d’être aimé par mes parents et protégé de la dure réalité du monde. Après, lorsqu’on devient adulte, on se rend compte que le monde devient cruel et qu’on ne va pas toujours nous regarder avec cette bienveillance. Peut-être quelque chose s’est-il mal passé à ce moment-là: les gens qui vont se réfugier dans une passion pour la musique, le cinéma ou la peinture y trouvent une façon de négocier avec la cruauté et la réalité du monde. Et il est évident que c’est le cas de Marguerite, tout comme de Cluzet dans A l’origine. Mais pour essayer de dépasser cela, j’essaye aussi de montrer que mes personnages vont découvrir quelque chose de la réalité de la vie grâce à leurs illusions. »

Pour nourrir Marguerite, le réalisateur s’est inspiré de la soprano américaine Florence Foster Jenkins, rendue célèbre par son chant « très peu académique » (1) à compter des années 1910. Une femme au « destin extraordinaire et émouvant » dont il a transposé l’histoire à Paris, une décennie plus tard. « J’ai toujours fonctionné de la même façon: je n’arrive pas à faire des films qui ne sont pas enracinés dans une réalité, que ce soit un fait divers, une rencontre. J’ai lu l’histoire de cette femme, et j’ai eu besoin de la changer d’époque et de lieu. Il y a dans ce choix une part d’instinct, et une autre qui répond au fait qu’il a été très vite question pour moi de l’émancipation d’une femme et de son désir de liberté. Les années 20 sont un moment très important dans ce qu’on pourrait appeler l’aventure de la liberté, tant en art que pour les femmes. » Et si elle tutoie parfois le ridicule, il n’en émane pas moins de Marguerite une profonde vérité humaine, nourrie de bovarysme: « Elle finit par croire qu’elle est un personnage non pas des romans qu’elle lit, mais des opéras qu’elle écoute. Il y a quelque chose de cela, qui est l’un des enjeux éternels de la littérature et du cinéma, de Don Quichotte à Sunset Boulevard. » En un mot, vertigineux…

(1) POUR S’EN FAIRE UNE IDÉE, DIVERS EXTRAITS DE L’ALBUM THE GLORY OF THE HUMAN VOICE SONT (IN)AUDIBLES SUR YOUTUBE.

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Venise

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