Le rock a du mal à se faire de la place à la télé? Pas forcément. Mais il faut attendre tard, et faire une croix sur tout magazine un tant soi peu décoiffant.

Il faut d’abord évacuer un a priori. Oui, il y a encore de la place pour le rock (et assimilés) à la télévision. Suffit de se pencher. Prenons par exemple la soirée du jeudi: Sampler sur Plug, D6bels sur La deux, Tracks sur Arte, quasi toutes programmées autour de22 h30. A cela, on peut encore ajouter au cours de la semaine l’hebdomadaire de Taratata sur France 4 (mensuelle sur France 2), Acoustic (samedi sur TV5) ou encore Later with Jools Holland sur BBC 2 (en version longue, le vendredi soir). L’exercice live est d’ailleurs devenu le genre roi. Même si une émission comme celle de Nagui, avec ses plateaux souvent prestigieux, coûte cher, pour des audiences certes honnêtes, mais loin d’être mirobolantes…

En attendant, l’amateur osera-t-il encore se plaindre? Récemment, la RTBF a eu la bonne idée de programmer la série de la BBC sur l’histoire du rock, ou le mois dernier, Deschaînes de fer aux chaînes en or, grande fresque de 1h40 sur la musique afro-américaine. Avec un peu de bonne volonté, on peut même élargir la fenêtre de tir. De la musique, il y a également moyen d’en picorer sur le Grand journal de Canal+, De Laatste Show (vus ces derniers mois sur le talk-show de Een: Roisin Murphy, Keziah Jones…), voire sur le Bonnie & Clyde de la Une, qui à côté d’Adamo invitait par exemple récemment Jéronimo, après avoir déjà fait se côtoyer les Tellers et Kate Ryan, Cocoon et Yves Duteil… C’était d’ailleurs le grand crédo d’Yves Bigot, l’ex-directeur des antennes de la RTBF, parti cet été pour Endemol France: ne pas »ghettoïser » le rock, mais au contraire le distiller par petites doses, en mélangeant les genres. Et tant pis pour ceux qui pensaient que l’arrivée de l’ancien journaliste rock français allait permettre de redonner une fenêtre spécifique au genre.

Car nous y voilà: s’il n’est pas compliqué de voir de la musique à la télé, peu de magazines y sont consacrés en tant que tel (à l’inverse du cinéma ou de la littérature). D6bels? L’émission ne produit quasi rien en interne, se contentant d’achats de reportages ou d’EPK (images fournies par les maisons de disques) plus ou moins bien fagotés. Sampler n’a apparemment pas beaucoup plus de moyens. Les magazines rock, par le contenu et l’esthétique, ont pourtant existé: des Enfants du rock à Rapido en France, en passant par Cargo de nuit ou Intérieur nuit à la RTBF ( lire en pages suivantes). Des émissions qui portaient une couleur, une atmosphère, une ligne rédactionnelle (ce vilain mot), qui leur permettaient d’ailleurs souvent d’élargir leur propos à d’autres disciplines (ciné, bd, littérature…).

Pourquoi ont-elles disparu? La faute à l’arrivée des chaînes thématiques musicales, avance-t-on souvent. A quoi bon en effet encore réserver une case au rock, puisque celui-ci est programmé en flux continu sur MTV ou MCM? Oui, sauf qu’aujourd’hui, ces chaînes-là en passent de moins en moins, préférant enfiler les émissions de téléréalités plus ou moins dégénérées.

De la télé au laptop

Autre explication: le public attiré par le rock est aussi souvent celui que la télévision a de plus en plus de mal à capter. Depuis quelques années, la consommation audiovisuelle glisse, légèrement mais sûrement, de l’écran de télé à celui de l’ordinateur. Du coup, c’est peut-être là aussi, sur le Net, qu’il est à nouveau possible de tomber sur du contenu sinon original, au moins personnel. Le webzine américain Pitchfork a lancé sa « télévision » en avril. Depuis 2005, le site français la Blogothèque a multiplié les fameux Concerts à emporter… Dernier exemple en date: Bloc Party, chopé à l’improviste dans la rue après leur concert parisien. En Angleterre, les Black Cab Sessions filment les musiciens dans un taxi, de Bon Iver à Brian Wilson (!), tandis que les Ukulele sessions de nos collègues du Soir s’acharnent vaille que vaille à imposer à ses invités la mini-guitare hawaïenne. Certes, la qualité technique est parfois défaillante et le gimmick envahissant, voire superficiel – comme dans ces Lavomatik sessions, qui amènent les musiciens dans les lavoirs. Mais à ces lacunes répondent l’enthousiasme, l’engagement et la subjectivité. En gros, tout ce qui fait le rock?

Texte Laurent Hoebrechts

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