LE DIABLE AU CORPS – Phaidon réédite un des livres les plus importants de Nan Goldin. Une pièce maîtresse qui nous plonge dans l’univers intime et fascinant de cette exploratrice de l’âme.

De Nan Goldin, éditions Phaidon, 448 pages.

Ce livre monumental n’est pas à proprement parler une nouveauté. Il s’agit d’une réédition en version brochée de la monographie la plus complète à ce jour consacrée à la grande photographe américaine. Mais qu’importe, il en va de certains ouvrages comme du trench Burberry ou de la petite robe noire griffée YSL: ils sont indémodables. On ne se lasse pas de les regarder et de les caresser. C’est le cas de ce Terrain de jeu du diable que l’on foule avec une appréhension mêlée d’excitation. Car on sait que le chemin vers la grâce est rocailleux sous les pas de cette artiste qui a connu l’enfer de la drogue.

Fidèle à son attachement au récit autobiographique, Nan Goldin nous immerge dans son existence, effleurant les personnages, amants, amis, enfants, proches, qui composent sa galaxie underground. Saisis sur le vif, dans leur intimité, les acteurs de son quotidien se livrent avec une candeur désarmante. Leurs états d’âme transpirent de la pellicule comme la sève de l’arbre.

Si elle jonglait avec les mots plutôt qu’avec les images, Nan Goldin écrirait à coup sûr de la poésie. Mais pas une poésie mièvre et sentimentale. Non, ses vers crépiteraient comme du bois sec. Ils brûleraient les yeux et l’âme. Car la photographe pointe son objectif là où la décence voudrait qu’elle détourne le regard. Rien ne lui échappe. Ni le sexe ni la maladie ni la mort. Qu’elle aborde avec détachement et sensualité. Les gestes apparemment les plus impudiques s’inscrivent ainsi dans la trame du papier et du récit avec un naturel déconcertant. Ils sont sublimés par sa patte de velours, ses tons solaires et une complicité radieuse.

RIEN à CACHER

L’ensemble forme un journal intime tissé de confidences émouvantes. Le désespoir semble esquisser un sourire. Et le bonheur cache mal ses failles. Pour souligner encore cette ligne mélancolique, les chapitres sont assortis de poèmes, de chansons et de textes, souvent écrits spécialement pour l’occasion, de la main de Nick Cave, de Léonard Cohen ou de Richard Price. Chaque planche exalte une sensibilité exacerbée qui peut déranger ou choquer mais qui, toujours, tend vers une universalité miraculeuse. La nature, les corps sanctifient la ronde du temps. La photographe effleure plus qu’elle ne dévoile. Nan Goldin capte l’instant de grâce éphémère noyé dans le tumulte et, à sa manière réaliste et frontale, encense le mystère de l’existence sans le déflorer. « La base de mon travail, expliquait-t-elle en 2003, est de montrer le non-dit des relations que l’on cache, que l’on nie. Etre dedans et sans distance. (…) Les gens cachent dans un tiroir les photos intimes et de sexe et montrent leurs paysages et le bonheur apparent. Je fais le contraire. » Nous tendant ainsi un miroir dans lequel on apparaît à la fois beau et moche, solide et fragile. Mais surtout nu…

laurent raphaël

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