A l’affiche de MR 73, d’Olivier Marchal, Daniel Auteuil suit une route singulière et plurielle. Rencontre.

Le sourire est engageant, la poignée de main également. La moustache tombante soulignée d’une barbichette trahit, elle, son actualité théâtrale: dix-sept ans après Les Fourberies de Scapin, Daniel Auteuil retrouve en effet Molière sur une scène parisienne pour L’école des femmes, et les attributs capillaires sont ceux d’Arnolphe.

S’il est à Bruxelles, profitant d’un jour de relâche, c’est toutefois pour parler de son autre actualité, la sortie sur les écrans de MR 73, d’Olivier Marchal ( lire notre critique en page 31). L’acteur retrouve là son réalisateur de 36, Quai des Orfèvres:  » J’ai cette propension, lorsque je sens qu’il y a une rencontre, à vouloir retravailler avec les gens. C’est ma gourmandise de la vie, des gens, explique-t-il . Pendant le tournage de 36, Quai des Orfèvres , j’ai eu envie de continuer avec lui, parce que je sentais qu’il se passait quelque chose, et que j’étais quelqu’un dans lequel il pouvait se projeter. Malgré ses maladresses psychologiques, dont j’ignorais encore que c’était de la pudeur, je sentais l’homme sincère et honnête. Et puis, disons-le, le succès du film a facilité les choses.  »

LAISSER PARLER LES SILENCES

Deux millions d’entrées en France pour un film de genre, voilà qui vaut mieux que de longs discours. MR 73 navigue dans les mêmes eaux, polar d’un noir d’encre au c£ur duquel dérive le héros, Schneider, un flic ayant lâché les amarres, et un profil emprunté à la réalité côtoyée par Olivier Marchal lorsqu’il était lui-même policier. Commentaire du comédien: « Il fait partie de ces types qu’il a rencontrés, ou qu’il a peut-être été ou serait devenu. A savoir des gens un peu fragiles qui ne sont pas préparés à digérer les horreurs auxquelles ils sont confrontés. C’est, en tout cas, un personnage très proche de sa sensibilité… « Sensibilité dont Auteuil serait le dépositaire dans le film?  » Je suis une espèce d’éponge, un flacon vide qui se remplit des émotions des autres. Mes émotions sont rarement exprimées. Je travaille plus avec des états nerveux, et je prends les émotions des personnages« , observe-t-il.

Daniel Auteuil a, parmi d’autres, cette qualité rare de laisser parler les silences. Volubile, il parsème la conversation de moments de respiration. Un mot, une phrase trouvant alors le temps de se poser. Evoque-t-on le caractère borderline des deux personnages qu’il a incarnés pour Olivier Marchal qu’il murit soigneusement sa réponse: « Le borderline, avant de commencer le film, il faut le structurer. Le principe des mecs comme cela, ou des grands alcooliques qui sont quand même intégrés dans la société, c’est qu’on les traverse sans s’en rendre compte tout de suite. Au fond, plus un rôle est écrit de cette manière, plus il faut rejoindre une normalité. Une fois qu’on l’a accepté, ce n’est plus cette dimension-là qui m’intéresse, mais bien la dimension tragique et universelle. Cette façon de s’adresser au monde, de sortir d’un quotidien. On est dans un genre certes, mais de même que chez Molière, on est dans la grande comédie, ici on est dans la grande tragédie. Je suis davantage dans cette projection-là. »

Quant à appréhender le rôle-même, le personnage de Schneider en l’occurrence? « Je me laisse allègrement emporter par une espèce de fantôme, de personnage. J’ai donc un travail d’acteur à réaliser, mais une fois que l’enveloppe est trouvée, on peut sauter dedans. Alors que dans d’autres films, disons plus près de la vie, je peux faire référence à des choses qui me sont personnelles. Roland Dupont dans tel film, ce n’est pas un personnage, je peux jouer un peu moins.  »

LIBRE DE DéCEVOIR

Il y a là l’esquisse d’un leitmotiv. A savoir cette diversité qui, au-delà des fidélités à certains metteurs en scène, traverse la filmographie de Daniel Auteuil ( voir ci-dessous), constituant sans doute l’une des explications de son exceptionnelle longévité. Voilà un acteur passant avec un égal bonheur d’une comédie de Jacques Veber, façon Le Placard, à l’intensité du Cachéde Michael Haneke. D’un film à costume comme Le Bossu, de Philippe De Broca, au singulier Peindre et faire l’amour, des frères Larrieux. Un comédien aussi à l’aise sous les traits d’Ugolin dans le Jean de Florette, de Claude Berri, que sous ceux du Sade de Benoît Jacquot… On pourrait multiplier les exemples à foison, englobant les films pour Sautet, Leconte, et d’autres, tant Auteuil s’est « éclaté » depuis qu’il tourna le dos aux comédies faciles des débuts.  » J’ai une bonne explication, avance-t-il. J’ai un besoin irrépressible de tourner. J’adore ça. Et aussi une volonté de ne pas m’enfermer dans une espèce de perfection des rôles et des genres. Je veux pouvoir aller faire des trucs bizarres, des comédies simplettes, tout pour me dégager, pour être libre de décevoir. Si j’ai une ambition, c’est celle-là. Etre libre pour avoir un petit peu, jeune homme, souffert de l’étiquette des comédies fastoches. C’est la liberté absolue, je ne sais pas jusqu’où on peut aller.  »

JUSQU’AU-BOUTISTE

Refus de se laisser enfermer et d’être  » zappé », comme il se surprit à le faire à l’égard d’Harry Baur, par lassitude des mêmes rôles tristes. Et souci, aussi, de ne pas se répéter:  » Je l’ai senti par exemple après les films de Claude Sautet. Il y avait eu cela chez Camus dans L’Etranger , mais nous avions en quelque sorte inventé, dans Quelques jours avec moi et Un jour en hiver , ces personnages qui n’ont pas accès aux sentiments. Ces espèces d’étranger, quoi. Et on s’est dit qu’on était allé au bout. Si on fait de longues carrières, c’est parce qu’on a tourné des rôles forts, mais ils ne sont pas toujours là. Il faut essayer de tenir, c’est un truc qui me plaît bien, je suis dans cette énergie-là, ça me plaît d’être là où je suis, j’ai encore cette niaque.  » Non sans ajouter, philosophe:  » On croit que, parce qu’on fait un film beau et pur, tout le monde va forcément l’aimer. Or, non. Et on ne peut s’y opposer. On ne peut jamais plaire à tout le monde, autant être en accord avec soi.  »

Auteuil avance donc à l’instinct et au plaisir – « Vous allez voir les comédies qui arrivent », lance-t-il, dans un rire gourmand. Fonctionne aussi aux rencontres, comme avec Patrice Leconte:  » On fait un parcours atypique: ses sujets sont fragiles, ses personnages troublants, et il filme comme un dieu. J’adore tourner avec lui: il y a des mecs avec qui on tourne, où on a vraiment l’impression d’être un très bon acteur.  » Carbure encore aux affinités électives – pour le polar, par exemple, qu’il fréquente assidûment ces temps-ci, entre les films d’Olivier Marchal et le remake du Deuxième souffle signé Alain Corneau.  » J’ai une relation particulière avec ce genre, parce que c’est celui qui m’a fait le plus voyager en tant que jeune spectateur. Enfant, je m’identifiais comme un fou aux personnages. Et puis, c’est un genre auquel je croyais ne pas avoir accès, parce que les héros et les acteurs qui les interprétaient – les Delon, Belmondo et autres Pacino -, représentaient le cinéma qui me faisait le plus rêver. Comme une belle femme dont on sait qu’elle restera inaccessible. J’ai conscience de bien réussir les polars, mais je les choisis avec parcimonie. Je dis plus facilement non que oui aux films de genre. Mais il y a là quelque chose qui flatte vachement mon ego, je rejoins mon panthéon. C’est très enfantin, mais c’est de cet ordre-là… »

Du pur plaisir, donc. Mais partagé, ce qui ne gâte rien… l

ENTRETIEN JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content