DES SPECTACLES AU POING LEVÉ, LA POÉSIE EN BANDOULIÈRE: LA BIENNALE FESTIVAL DE LIÈGE REVIENTINTERROGER LE PRÉSENT.

Eculé comme un t-shirt du Che Guevara, le théâtre politique est frileux à s’afficher comme tel.Pourtant, Discours à la nation du conteur d’Ascanio Celestini, interprété par David Murgia, ouvre les festivités. On y parle de guerre et de Gramsci, de Lybie et des putes de la Volga, de pain et d’entreprises. Imprévisibles, les histoires de Celestini s’enroulent dans la folie ordinaire du monde. Car le vrai théâtre politique fait réfléchir son spectateur. »Depuis le milieu des années 90, explique Nancy Delhalle, professeur d’histoire du théâtre à l’ULG -avec une thèse sur le théâtre politique-, le théâtre réinterroge le réel sans se revendiquer du théâtre militant. Aujourd’hui, on tend à opposer le politique (prise de tête rébarbative) à la distraction (ne pas se prendre la tête). Il faut réhabiliter la notion de divertissement au sens noble: s’interroger par le biais du spectacle n’est pas forcément un acte de torture! » Un défi relevé par le Festival de Liège dessiné par Jean-Louis Colinet (directeur du Théâtre national). Une vingtaine de spectacles (en VO surtitrés), des films-débats, des inédits venus d’Irlande, d’Italie, du Chili, des « stars » comme Pommerat, Celestini, Richter, et la fiesta avec concerts et soirées DJ. Un grand cru s’annonce: l’occasion pour Focus de plonger dans les traits et clichés du théâtre politique, en épinglant les incontournables de cette 12e édition.

Le théâtre politique est documentaire

« Le documentaire permet, par l’analyse critique, de s’emparer du réel dans des formes artistiquesqui dépassent la simple subjectivité d’un artiste« , souligne Nancy Delhalle.Pas mal de spectacles puisent dans l’actualité, la société, l’Histoire. Auteur de superbes fables modernes, Joël Pommerat présente dans la scénographie d’une chambre d’hôtel… La grande et fabuleuse histoire du commerce, basée sur des entretiens avec des représentants de commerce!Annoncé comme un théâtre de fureur physique, Alexis, una tragedia greca, de la Cie italienne Motus,évoque la rebelle Antigoneà propos de la mort d’Alexis, un jeune anarchiste d’Athènes abattu par un policier en 2008.Le Chilien Guillermo Calderon présente Villa + Discurso, un huis clos sur la mémoire et l’oubli autour d’une maison de torture sous Pinochet.En mode « work in progress »: Nourrir l’humanité, c’est un métier par un duo du Conservatoire de Liège raconte le monde agricole, avec jeu et témoignages vidéos.

Le théâtre politique est militant

Sans blague, la FGTB est dans l’coin, initiant un concours vidéo, Interimarre, sur l’abus de l’intérim, soutenant la plate-forme d’artistes Harcelez Mittal. Nancy Delhalle précise: « Le théâtre politique est basé sur une recherche, pas sur une vérité préconçue comme le théâtre militant. Ici, la participation du syndicat à une « projection-débat » n’a rien à voir avec le théâtre action d’antan. L’autonomie artistique est acquise. « Exemple avec Falk Richter, auteur et metteur en scène allemand (Play Loud, Dieu est un DJ, Das System…) qui épingle avec brio la mondialisation. Ses personnages planent souvent dans l’anxiété existentielle sur fond de musique électro. Avec la chorégraphe Anouk van Dijk, il propulse douze interprètes dans la crise financière avec Rausch, du théâtre-danse « à la recherche d’une emprise sur le monde qui s’effondre« .Loin de militer, le théâtre de Richter traverse un monde en chute libre.

Le théâtre politique n’a pas d’humour

Imaginez des artistes qui s’enferment dans une cave pour concocter « la » pièce révolutionnaire sauf que, à leur sortie, le gouvernement a fait place à une… société idéale. Dans Tratando de hacer una obra que cambie el mundo, une troupe chilienne, inconnue au bataillon, puise dans l’absurde, l’enfermement collectif, le déjanté et le cruel pour aborder l’art et la révolution. Autre belle inconnue, ces artistes des Pouilles et leur Furie De Sanghe: une famille de tarés vivant dans une maison-igloo voit son petit monde « éclaté » par l’arrivée d’une jeune fiancée.Ou encore Les Invisibles de Nasser Djemaï, où de vieux immigrés algériens, retraités et abandonnés en France, se racontent sur scène avec l’arme du rire. Car le théâtre politique sait dégainer son humour sur les sujets les plus sérieux.

Le théâtre politique est d’abord artistique

Le Festival de Liège s’affiche « poétique et politique« .Une des perles à découvrir, The Blue Boy, nous plonge dans un univers rituel de vidéos, de lumières étranges et de masques de papier, qui illustrent les scandales pédophiles au sein de l’Eglise (irlandaise). Autre trouble visuel avec Constellation 61, sur le thème de la folie, qui mixe sur deux acteurs un univers de sons, d’images et de dessins. Enfin, on retrouve le « tube » d’un jeune Irakien exilé à Anvers, Mokhallad Rasem: Irakese Geesten raconte « sa » guerre en dix tableaux proches de la performance absurde, de fiction-réalité, soutenus par la musique de Nirvana.

Sans se revendiquer du « théâtre politique », ni lever le poing, J.L. Colinet ancre son Festival de Liège dans les esthétiques contemporaines où, écrit-il: « Le théâtre peut secouer les consciences et refléter les grandes questions de son temps…  »

?Du 18/01 au 09/02 à Liège, Bruxelles, Mons, Charleroi et Herve www.festivaldeliege.be

TEXTE NURTEN AKA

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