Le réalisateur de Dead Man Walking, acteur-star et fils de musicien folk reconnu, portait depuis longtemps en lui un répertoire Americana. Il vient de libérer 9 chansons dans un premier album à la fois rauque et blessé. Une réussite.

Et si ce disque n’était que le résultat d’une rupture sentimentale, en l’occurence la liaison de plus de 20 ans avec une actrice et femme fameuse, Susan Sarandon?  » Ah ah ah, vous savez, c’est juste parti d’une rumeur enclenchée par une interview à la BBC où le journaliste en a déduit que je faisais une midlife crisis et que ce disque était la réponse que j’adressais à moi-même, mais il ne s’agit pas de cela du tout. Les chansons étaient écrites avant. » Tard, un soir de septembre, joint par téléphone au bureau de sa société de production californienne, Tim Robbins paraît à la fois proche et invisible via le phoner, compromis bâtard entre l’appel à Belgacom (y a quelqu’un?) et le jeu de la vérité en 20 minutes (l’interview suivante est déjà en ligne). Un acteur, plus encore que les autres, sait combien un demi-aveu ou une colère se lit dans les yeux. Contrairement à d’autres disques de mâles hollywoodiens (Kevin Bacon, Kevin Costner, Jeff Bridges, Russell Crowe, Steven Seagal…), celui de Robbins n’est pas juste un défouloir pour bars à testostérone ou fines troisièmes mi-temps. Le sang qui coule dans Tim Robbins And The Rogues Gallery ( lire la critique en page 35) est bien rouge, comme celui qui pompe une plaie ouverte, même si Tim botte en touche la rupture sentimentale ou les autres dysfonctionnements non équitables de la vie.

Robbins naît le 16 octobre 1958 à West Covina, banlieue classe moyenne à une trentaine de kilomètres de Downtown Los Angeles. Maman est actrice/flûtiste et papa tripatouille les viscères de la musique: éditeur, propriétaire de night-club et membre d’un groupe folk assez fameux, The Highwaymen.  » La musique a toujours été présente dans ma vie et a un lien considérable avec la mémoire. Récemment en regardant Fantastic Mr Fox , j’ai reconnu une chanson de Burl Ives (acteur et chanteur folk américain, 1909-1995, ndlr) appelée Buckeye Jim . Je me suis instantanément revu à l’âge de 4 ou 5 ans, assis dans le salon, occupé à écouter ce titre. On n’avait pas de télévision et mon père avait des tonnes de disques. » Assez vite, Robbins part pour New York en famille, direction Greenwich Village, quartier bohémien témoin des escarmouches du mouvement beat et d’un jeune Dylan y traînant son génial sarcasme.  » Mon éducation était à la fois bohême et catholique (rires) . J’étais entouré de beaucoup de gens créatifs, qui pensaient différemment que la majorité, des esprits libres qui m’ont, littéralement, défini. Mon père était directeur du ch£ur de l’Eglise et travaillait sans cesse à ses chants religieux, en même temps qu’il se produisait dans le circuit folk avec un caractère plutôt effronté. J’étais enfant de ch£ur mais je me souviens bien de l’avoir vu en concert: je devais avoir 5 ans, et je n’ai jamais oublié la façon dont il divertissait les gens. » Pendant 4 décennies, Robbins ne va cesser d’écouter puis de pratiquer la musique. Le cinéma en est l’exutoire cinglant. Dans Bob Roberts (1992), mockumentary qu’il écrit et dirige, il interprète un sénateur conservateur fou de folk. Dans Dead Man Walking (1995), qu’il met en scène, la relation entre un condamné à mort et une bonne s£ur, est livrée sous perfusion intense des chansons de Springsteen, Tom Waits, Patti Smith et autre Eddie Vedder duettisant avec Nusrat Fateh Ali Khan.

Saintes écritures

De son mètre nonante-quatre, Robbins a fait les 400 coups rock: groupe punk, Gob Roberts, qui ouvre pour Pearl Jam en 2004, apparitions folkeuses dans des cafés quasi anonymes, et puis guest de luxe dans le projet du producteur US Hal Willner qui célèbre les vieux airs de pirates, aux côtés de Shane MacGowan et Marianne Faithfull.  » Mon projet actuel n’a démarré qu’au moment où j’ai présenté mes démos à Willner, un vieil ami, lui demandant un avis sans condescendance. Il a écouté et m’a dit qu’il y avait là la substance d’un album: on a enregistré à Londres avec le casting de son projet Pirates: 9 chansons en 2 jours, à l’été 2008. On y est revenu ultérieurement, ajoutant des cuivres ou des ch£urs, mais c’était prêt depuis un an. On voulait juste rencontrer un bon partenaire, Pias est le label adéquat qui a compris ce qui devait être fait…  » L’album est le cousin des expériences formatrices de Robbins. Ainsi, la plage d’ouverture qui donne le ton du disque, mi-fracassé, mi-libératoire: « Book Of Josie a été inspiré par S£ur Helen Préjean, l’auteur du livre à l’origine de Dead Man Walking : elle m’a donné ce bouquin où l’on ré-imagine Jésus. J’avais également lu The Gnostic Gospels d’Elaine Pagels où se trouvent des évangiles redécouverts en 1948: je me suis alors demandé qui avait édité la Bible, qui en avait rassemblé le puzzle? D’autres chansons viennent de gens rencontrés sur la route. Time To Kill est inspiré par ce type du Colorado, qui m’a longuement dit ce qu’il ne voulait pas dire à sa propre famille… Les morceaux racontent plutôt des parcours, ce ne sont pas des protest-songs.Sur le cinéma, la musique a un avantage: je n’ai pas besoin de l’accord de vice-présidents de compagnies pour y aller, il y a plus de liberté. Sinon, le processus créatif est assez semblable: il faut s’ouvrir au talent d’autrui. » Bon, que peut-on attendre de Tim en scène lors de son prochain passage en Belgique? Qu’il mette le feu à sa guitare? (Il rit)  » Non, il n’y aura pas de théâtre cheap, je suis très honoré que les gens viennent me voir, et je leur donnerai tout mon c£ur. Pour moi, la bonne musique est celle qui transporte l’âme. «  Parole de catholic boy.

En concert le 20/10 au Vooruit à Gand, www.vooruit.be

Texte Philippe Cornet

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