Avec son premier album, l’épatant Tucumcari, le jeune Français fantasme une Amérique des grands espaces. À voir au Musée du Bota, le 9 mai.

C’est une des toutes bonnes surprises de ce début d’année. Avec Tucumcari, Sammy Decoster, 26 ans, a sorti l’hiver passé un premier album marquant. Voix profonde de crooner menaçant, cavalcades western, guitares vibrantes . Son nom a beau résonner au vent du Nord, c’est à l’Ouest que l’esprit de Sammy Decoster vagabonde.

Installé aujourd’hui dans la campagne lilloise, le bonhomme a grandi en banlieue parisienne, du côté de Montfermeil. En Seine Saint-Denis toujours, mais loin des cités déprimées du 93. « C’est vraiment la fin de la banlieue bétonnée et concentrée, à la frontière de la Seine et Marne, en fait. J’en garde d’ailleurs une image assez champêtre, avec beaucoup d’anciennes carrières, des bois, etc. » Quand il se lance dans des études de géographie, Sammy Decoster vise d’ailleurs le concours des eaux et forêts, avant de bifurquer. Il trouve un job comme éducateur dans un centre pour handicapés mentaux. Parallèlement, il commence à acheter du matériel pour enregistrer les chansons qu’il a en tête. A l’époque, il écoute des groupes électriques, voire bruitistes, comme Slint ou Jesus Lizard, mais ce sont d’autres sons qui l’obsèdent. « J’aime le bois, la matière… Aujourd’hui, cela m’excite plus de sentir des gens jouer à fond sur des instruments acoustiques, quitte à s’en péter les doigts, plutôt qu’avoir les amplis Marshall poussés à 10. Je suis par exemple fasciné par le côté viscéral que peut avoir la musique de quelqu’un comme Hank Williams. »

Western moderne

Plus encore, c’est Elvis Presley qui a marqué Sammy Decoster quand, à 6 ans, il tombe sur une cassette du King. « Aujourd’hui, il est possible d’aimer Elvis. Mais quand j’ai commencé mes premiers groupes, vers 12, 13 ans, quand je prétendais être un fan absolu de Sonic Youth et Sebadoh, écouter Elvis n’était pas cool. Du tout… Récemment, je me suis plongé dans ses derniers enregistrements. Et même dans ses moments les plus pathétiques, je trouve du sublime. Quelque chose de quasi mystique. »

En attendant, Presley lui ouvre la porte vers le blues, la country, tout un tas de formations des années 50, 60. De quoi donner un cadre solide. Au départ, le français en est exclu: « je ne pensais pas qu’une musique comme le rock puisse se prêter à une autre langue que l’anglais. » Aujourd’hui, Sammy Decoster s’est fait une raison: « D’abord, j’ai pas le niveau en anglais; ensuite, j’ai trouvé une manière d’écrire dans laquelle je peux me retrouver. » C’est d’ailleurs une des réussites du disque: jamais la langue de Molière ne vient troubler les paysages fantasmés du bonhomme. Un décor fait de ballades balayées par les tumbleweed, tendues comme un western fordien. Quelque part entre Chris Isaak et Calexico (un jour, Sammy Decoster rencontrera même Howe Gelb, figure tutélaire de la country alternative – « C’était au festival de Dour. J’ai passé les barrières pour aller lui parler. »).

Le titre du disque, Tucumcari, est celui d’une ville paumée du Nouveau-Mexique. Un bled de 6000 âmes, sur l’ancienne Route 66. Il y a 4 ans, lors d’un voyage d’un mois à travers l’Ouest américain avec sa copine, Sammy Decoster y a fait un arrêt. « C’est l’image d’Epinal: il ne se passe rien, le soleil tape, les volets sont fermés, les gens font la sieste… Et en même temps, je ressentais la même chose que dans certains patelins paumés au fin fond de l’Auvergne. Il y a quelque chose d’universel, commun à tous ces endroits isolés. »A en croire l’intéressé, cela lui a valu malgré tout une nuit agitée. « La journée, j’ai rencontré un vieux taulard qui tenait un magasin d’antiquités. Il a commencé à me parler de sa vision du monde, des boules de feu qu’il avait vues dans le désert, des villes fantômes… La nuit même, il y a eu énormément de vent. Dans le motel dans lequel on était, le vent s’engouffrait sous la tôle. J’ai commencé à être pris d’une angoisse incroyable. J’avais l’impression qu’il y avait des mecs sur le toit, j’entendais des chevaux en bas, je me levais tout le temps. J’étais complètement parti! » Le lendemain, les amoureux reprendront la route. Avec pour Sammy Decoster une chanson en poche, le début d’un album même. « Suis-je devenu fou? Mon c£ur me lâche dans la nuit de Tucumcari. »… l

Sammy Decoster, Tucumcari, Universal. Le 9/05 au Bota.

également en concert le 7/08, au Théâtre royal de Namur.

Rencontre Laurent Hoebrechts

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