Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Témoin des tragédies vécues par son peuple, le réalisateur cambodgien Rithy Panh a revisité l’ex-Indochine de Marguerite Duras.

Rithy Panh s’était révélé en 1994 avec Les Gens de la rivière, fiction résolument ancrée dans la réalité quotidienne de paysans cambodgiens. Le cinéaste allait ensuite consacrer plusieurs années au documentaire, pour témoigner des horreurs vécues par son peuple et son pays. S21, la machine de mort Khmère Rouge (2004) fut sans doute le – douloureux – sommet de cette recherche essentielle, que le réalisateur jugeait  » nécessaire » et  » relevant de (sa) responsabilité d’artiste et de Cambodgien« . Aujourd’hui, Rithy Panh revient à la fiction, mais sans abandonner l’ex-Indochine puisqu’il adapte le roman partiellement autobiographique de Marguerite Duras Un barrage contre le Pacifique, situé dans une plantation durant l’époque coloniale.

 » Ce livre est la matrice de tout ce que Duras va faire ensuite, commente le cinéaste, il est d’une richesse presque inépuisable. Il serait possible de l’aborder de tant de points de vue différents! Moi, je me suis particulièrement intéressé aux idées politiques que contient le roman. Un barrage contre le Pacifique est une des £uvres anticolonialistes les plus fortes qu’on ait jamais écrites! J’ai aussi voulu intégrer la dimension utopique, et bien sûr celle du drame familial. » Rithy Panh parle à voix basse, avec douceur, mais ses mots sont durs pour  » ce colonialisme dont les exactions, l’exploitation systématique des peuples dominés, ont planté les graines d’une révolte qui a pu produire ensuite de terrifiantes dérives comme celles des Khmers Rouges! » L’héroïne du film, interprétée par Isabelle Huppert, tout en faisant partie de la société coloniale, en est elle-même victime, ce qui en fait un personnage d’autant plus intéressant aux yeux du réalisateur.  » Elle aimerait appartenir au lieu où elle vit, exister en harmonie avec ses habitants d’origine, mais c’est un espoir vain, tant le système colonial exclut pareille communauté« , explique Panh dont le film résiste par ailleurs assez bien à la tentation du didactisme.

Marqué à jamais

 » Chaque réalisateur a sa morale. Moi, je fais toujours un film avec les autres, jamais un film sur les autres!« , déclare celui dont la caméra cherche toujours la juste distance, et la trouve souvent.  » Face à un sujet, je me demande toujours quelle est ma place de réalisateur cambodgien, possédant le vécu qui est le mien et ressentant aussi une certaine responsabilité à assumer« , poursuit Rithy Panh. Et de conclure fermement:  » Je garderai toujours ce regard marqué par le colonialisme. Aujourd’hui, celui-ci n’existe plus en soi, mais regardez comment le droit à la terre se voit nié dans tant de pays pauvres! Des sociétés multinationales achètent des étendues toujours plus importantes de terre cultivable pour y faire pousser des productions inutiles à la consommation locale, et qui partent directement à l’exportation. Les gens qui vivent sur ces terres sont niés par un libéralisme sans morale ni éthique… »

u voir la critique du film en page 29

Louis Danvers

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