Albums poussifs, concerts foireux… Le hip hop file-t-il un mauvais coton? Certains pressent en tout cas pour qu’on rouvre les fenêtres d’un genre trop replié sur lui-même. Exemple avec Disiz la Peste, bientôt en partance.

Y a-t-il quelque chose de pourri dans le royaume du hip hop? Depuis quelques mois, la planète rap ne semble en effet plus tourner très rond. Mais bien en rond… Difficile évidemment de résumer un genre qui est aujourd’hui devenu un langage mondial. Mais tout de même… Depuis le début de l’année, les disques renversants se font rares – même le retour tant attendu d’Eminem tourne à vide. Du côté des producteurs phares, tels Timbaland ou Dre? En roue libre… Même Kanye West ne semble plus y croire: « Hip hop is over for me », déclarait-t-il à l’automne dernier. Gueule de bois aussi quand la venue en festival de calibres comme Lil Wayne ou Lauryn Hill est annulée quelques semaines avant la date prévue.

Du côté français, le panorama n’est guère plus exaltant. Des rappeurs comme Booba ou Rohff cartonnent, mais en restant calés, chacun à sa manière, sur les modèles américains. Et puis, c’est sans compter sur les éternelles bisbrouilles, règlements de compte et autres clashs stériles. Sale ambiance. Quelques jours avant qu’on le rencontre, Kery James s’est à nouveau « frité » avec un « collègue ». Cela lui a valu une dépêche AFP et une citation à comparaître au tribunal. Sur son dernier album, Réel, Kery James explique dans Lettre à mon public: « Moi aussi, j’ai ma part d’ombre; et je suis seul face à elle comme ma part de lumière tombe (…) C’est pourquoi je dois partir, avant que je ne vois tout ce que j’ai construit se détruire. » Le rappeur confirme qu’il compte prendre la tangente un moment. « Ça devient difficile pour moi de rester dans ce milieu, notamment par rapport à ce que j’aspire en termes de spiritualité; à un moment, vous vous retrouvez en contradiction avec vous-même… »

Fossé des générations

Début des années 2000, Disiz la Peste s’était fait un nom grâce à un rap ludique, souvent second degré ( J’pète les plombs). Aujourd’hui, il revient le temps d’un dernier album dans ce format-là avant de passer à autre chose. « C’est Disiz the end et je m’écroule comme une douille vide », raconte-t-il d’entrée. Plus loin, il lâche encore: « Le rap est derrière moi, fermé à double tours » ( Il est déjà trop tard). Explications de l’intéressé: « Je veux avoir un regard lucide et honnête. A l’origine, le rap est une musique libre faite par des gens qui n’avaient accès à rien. Quelqu’un comme Afrika Bambaataa écoutait beaucoup de rock, d’électronique et samplait les Allemands de Kraftwerk! Quand j’ai commencé, c’est ce qui m’intéressait aussi: arriver avec des choses originales. »

Cette liberté, Disiz la Peste a l’impression qu’elle a disparu dans le rap actuel. « Au fil des années 90, le rap a créé ses propres codes, ses propres attitudes… qui se sont de plus en plus figés. En même temps, l’industrie du disque s’est rendu compte qu’il y avait de l’argent à se faire avec le rap. Cela a pourri pas mal de choses. Au départ, le rap symbolisait une fuite du réel : d’un milieu pas toujours facile, de l’école qui était chiante… C’était une fugue pour moi. Aujourd’hui, je fuis ce qui est devenu trop conventionnel. Je ne veux pas devenir un fonctionnaire de la musique avec un cahier des charges à remplir. »

L’explication de cette lassitude est peut-être plus simple. Après tout, si tout cela n’était finalement qu’un problème de génération? « Il y a effectivement un fossé qui s’est creusé. Mais est-ce moi qui ai vieilli ou le rap qui a changé? Tout ce que je constate, c’est que, quand j’avais moi-même 15 ans, j’écoutais le même rap que ceux qui en avaient 30… »

Disiz The End est donc un dernier exercice de style, réussi. Une sorte d’inventaire avant dépôt de bilan, respectant les formes, pas forcément les normes (dans le livret du CD, le rappeur pose en train de repasser ou de faire la vaisselle). Le ton est plus direct qu’à l’habitude. Comme dans le morceau 27 octobre: Disiz y raconte comment le jour de l’accouchement de sa femme, on l’attendait en bas, à l’accueil de l’hôpital… « Le rap tend un miroir ambigu. D’un côté, il se veut authentique, crédible. De l’autre, il joue sur l’amusement, la fantaisie. Cela donne un cocktail qui peut parfois être malsain… Certains regardent Scarface et commencent à singer Al Pacino. C’est la même chose avec le rap. Donc à un moment, effectivement, on vient chez vous pour essayer de vous racketter. Alors vous souriez, vous tenez bon, et ça ne marche pas. Seulement cela reste très dur à vivre… Tout ça, c’est le rap qui me l’a apporté. Des bonnes choses mais aussi pas mal de soucis. Ce qui est normal, c’est la vie. Mais si je mets tout dans la balance, il commence à y avoir un déséquilibre. »

Aujourd’hui, celui qui est né Serigne M’Baye Gueye a décidé de reprendre des études et de passer son DAU, diplôme d’aptitudes aux études universitaires. Il a aussi dans les cartons un nouveau projet: un disque rock. « Depuis plus de 5 ans, j’écoute à 90 pc cette musique-là. J’y retrouve une énergie, une pulsation qui me plaisent beaucoup. Et puis regardez un groupe comme Vampire Weekend: leurs guitares, on dirait presque de la musique congolaise! Même chose avec Foals. Ces gars n’ont aucun problème à alimenter leur musique rock avec des choses très différentes. Cette liberté-là m’attire énormément. » Disiz not the end…

Kery James, Réel, CHEZ Warner. En concert au Dour festival, le 19/07.

Disiz la Peste, Disiz The End, CHEZ Naïve.

Rencontres Laurent Hoebrechts

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