Loin des clichés du genre, Oxmo Puccino rappe à l’air libre. Avant son prochain concert au Botanique, rencontre avec celui qui reste l’une des plumes les plus brillantes du hip hop français.
Sur la pochette de son 5e album, Oxmo Puccino verse une larme. Un rappeur qui pleure: ce n’est pas le premier pied de nez que le bonhomme adresse aux clichés. Pas le dernier non plus. En fait, le rappeur – né Abdoulaye Diarra en 1974 au Mali, arrivé 5 ans plus tard dans le 19e parisien – a toujours cherché à tirer son épingle du jeu. Par son flow d’abord, débit vocal rond et magnétique à la fois; et par sa plume, capable de tournures et de métaphores lumineuses. Surtout, Oxmo Puccino ne s’est jamais contenté de rabâcher les poses du genre. En 2006, il prenait même carrément la tangente. Direction le jazz, avec Lipopette Bar, sorti sur le prestigieux label Blue Note. Avec sa grande carcasse et son aura à la Forest Whitaker, il baladait ses rimes sur la trame acoustique tissée par les Jazzbastards, façon polar noir à la Melville. Une vraie réussite.
3 ans plus tard, voici L’arme de paix. Nouveau changement de décor: le jazz a été laissé de côté. Cette fois-ci, c’est de la chanson française que Puccino a voulu (un peu) se rapprocher. A croire qu’une fois qu’on a goûté à la liberté, il est difficile de revenir en arrière… Alors si Oxmo Puccino est toujours hip hop, c’est bien pour profiter de toutes les opportunités d’un genre qui n’en est pas un. Ou plutôt qui, comme une éponge, peut les absorber tous. « Si le rap est moderne, c’est parce qu’il est la forme musicale qui correspond le plus à l’idée de métissage. C’est une musique née de rien, d’un assemblage d’échantillons de musiques de toutes les époques, de tous les styles. »
C’est aussi une manière de remballer ceux qui voudraient ranger le hip hop sous une étiquette trop étroite, souvent mal comprise. « Un genre musical, c’est quelque chose de rébarbatif. Ce n’est qu’une appellation, qui ne définit pas la musique en soi. C’est dangereux pour l’artiste. Et pour l’auditeur, qui peut louper des choses en s’arrêtant à l’étiquette. Par rapport au rap, je me suis rendu compte que dès qu’on prononçait le mot, surtout ces derniers mois, tout le monde y va de sa propre définition. Et que souvent, ce n’est pas un problème de rap, mais bien de rappeurs. D’artistes qui renvoient des images qui ne plaisent pas toujours. »
Exemple concret: au moment où L’arme de paix atterrissait dans les bacs, au printemps dernier, la polémique autour du rappeur Orelsan était en plein emballement. Auparavant, ce sont les multiples « clashs », plus ou moins frontaux, qui ont contribué à dégrader une image médiatique du hip hop français déjà peu à son avantage. « Le problème est que ces artistes attirent toutes les caméras, tous les micros. C’est pratique pour les médias: cela colle parfaitement à l’image qu’ils se font de cette musique. D’un autre côté, quand j’entends parler certains rappeurs de quartiers difficiles, moi je n’oublie pas que, quand on est dans ce genre de situation, on ne veut qu’en sortir. C’est vécu la plupart du temps comme un traumatisme. Avec l’auditeur, je veux partager autre chose que ce que j’ai de plus triste, de plus sombre. » La noirceur n’est pourtant pas absente de L’arme de paix. Le plus souvent sous une forme mélancolique, vagues à l’âme nocturnes et autres spleen urbains à fleur de bitume. » Compose avec la lumière/en tant qu’homme de l’ombre« , explique le rappeur parisien dans 365 jours. La violence aussi est là, entre les lignes. Pas tant pour en faire un argument marketing, que pour la disséquer comme n’importe quelle matière humaine, aussi visqueuse soit-elle. A l’inverse de certains collègues, Oxmo Puccino aurait pourtant bien des raisons de la « ramener ». Il préfère la discrétion. Dans L’arme de paix, il invite K’Naan, rappeur somalien qui a fui la guerre. Il glisse lui-même: » J’ai trouvé ma voie/Le jour où j’ai pensé à tuer un homme. » « Il y a en effet des moments où l’on ne contrôle plus ce qu’on fait, ce qu’on pense. Comme quand je me suis retrouvé au pied d’un proche en train de se vider de son sang: à ce moment-là, si j’avais eu le responsable entre les mains, les choses se seraient mal passées. »
Miles & Rakim
A la place, Oxmo Puccino s’est donc contenté de vider des chargeurs de « cartouches d’encre ». Il emmène par exemple Olivia Ruiz Sur la route d’Amsterdam, pour un aller-retour fumeux avec clin d’£il au grand Jacques – après tout, ne le surnomme-t-on pas le Black Brel, depuis qu’il a repris Ces gens-là. Mais à 35 ans, Oxmo Puccino conte (et décompte) surtout le temps qui passe. » A chaque marche passée, l’escalier s’effondre/Alors je saute en chantant chaque seconde. » ( 365 jours). » A partir d’un certain âge, cela devient une obsession. Je n’ai que trop conscience que l’horloge tourne. Ne pas saisir le passage du temps est quelque chose de violent, parce qu’on le reprend toujours dans la figure, tôt ou tard… Mais cela fait partie de mon caractère. Par exemple, je suis toujours très ponctuel, voire en avance. Parce que j’ai peur de manquer quelque chose justement. » Et d’ajouter, avec le sourire lumineux: » La vie est triste. A nous de la rendre belle et heureuse. Par nos actes, nos choix, la force qu’on met à lutter contre le cours des choses… »
Lien de cause à effet? Jamais en tout cas, la diction du rappeur n’a semblé si posée, sereine. Précise et acrobatique, mais loin du flow mitraillette. « Il y a un format dans le rap, qui est le 16 mesures. C’est très long. On peut facilement tomber dans le remplissage, le hors sujet. Du coup, j’essaie de raconter un maximum en un minimum de mots. C’est Miles Davis qui disait que le plus important dans la musique, c’était le silence.. . Et puis, pour le flow, il y a l’exemple de Rakim. Un rappeur immense, qui pratique le saxophone, et qui dit que la voix est comme un instrument à vent. Le rap doit être comme un solo de sax: c’est de l’improvisation, de la voltige, une certaine maîtrise… Pour moi, le flow s’apparente à cela. C’est pour ça que sur le disque, je laisse les mots respirer, il y a des espaces, la ponctuation est bien marquée. C’est aussi ces silences qui donnent encore plus de poids aux mots. »
Oxmo Puccino, L’arme de paix (), distribué par Cinq7/Wagram.
En concert le 23/10 au Botanique, Bruxelles.
Entretien Laurent Hoebrechts
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici