Durant les années 70, une série d’auteurs réinventèrent le cinéma américain. Retour sur une décennie fantastique, à l’occasion de l’exposition que consacre la Cinémathèque française à Dennis Hopper et au nouvel Hollywood.

Zodiac, American Gangster (5), Frost/Nixon (2), ce sont là quelques-unes des toiles à propos desquelles on a évoqué, ces derniers temps, la résurgence du cinéma américain des années 70. Certes, s’agit-il de films d’époque, millésimés seventies. Il n’y a pourtant pas là que correspondance temporelle; sauf à admettre, sinon, qu’un Disco renverrait à Pialat. Non, par leur ambition artistique, leur exigence, leur maîtrise et leur densité, les films de Fincher, Scott et Howard (parmi d’autres, on songe notamment aux passages de George Clooney derrière la caméra) ont réveillé le souvenir d’une décennie fantastique; une décade où, le temps de l’éclosion d’une génération d’exception, Hollywood parut en mesure de se réinventer – les studios derrière soi, l’avenir devant lui. Une période à ce point faste qu’elle figure désormais une sorte de Saint Graal, s’étant substitué à celui, depuis longtemps enterré, de l’âge d’or des studios.

Un regard critique sur le monde

Le ferment de ce nouvel Hollywood est à chercher dans les années qui précèdent, lorsque les succès de Bonnie and Clyde de Arthur Penn et Easy Rider(4) de Dennis Hopper consacrent l’émergence d’une nouvelle génération d’auteurs, en phase avec un public exigeant et conscientisé – la guerre du Vietnam enflamme alors la jeunesse américaine.  » Débute alors le moment de grâce du cinéma américain, écrit Jean-Baptiste Thoret dans Le cinéma américain des années 70. Un âge d’or et de fureur baptisé le nouvel Hollywood (…) Une dizaine d’années euphoriques au cours desquelles de jeunes cinéastes, acteurs, scénaristes et producteurs prennent en mains les rennes d’Hollywood. » *

La révolution en cours est à la fois esthétique, les auteurs du nouvel Hollywood s’affranchissant des règles du cinéma classique, et thématique, le cinéma américain embrassant le monde d’un regard critique. Symptomatique sans nul doute, les années 70 s’ouvrent ainsi avec M.A.S.H. de Robert Altman, grand film iconoclaste qui, sous couvert de cerner un hôpital de campagne pendant la guerre de Corée, pose une métaphore féroce de celle du Vietnam. Ce conflit-là irriguera la production de la décennie à suivre, avec notamment The Deer Hunter de Michael Cimino, Coming Home de Hal Ashby, ou, bien sûr, Apocalypse Now de Francis Ford Coppola.

Le cinéma américain se pose, d’une manière générale, en fécond terrain de questionnement, qu’il soit intime ou sociétal. Ce, avec les innombrables déclinaisons qu’un spectre aussi large autorise, du road-movie existentiel façon Two-Lane Black Top de Monte Hellman, au deuil d’un monde tel qu’en The Last Picture Show de Peter Bogdanovich; jusqu’à oser tordre le coup à quelques-uns des mythes fondateurs de l’Amérique – ainsi du Little Big Man d’Arthur Penn. Quant au nouvel « héros » américain, il adopte un profil incertain, qu’il s’agisse de Jack Nicholson se défaisant de tout carcan contraignant dans Five Easy Pieces de Bob Rafelson, ou d’un Gene Hackman campant un flic affolant dans The French Connection de William Friedkin.

Une génération d’exception

Cette génération-là est, pour tout dire, exceptionnelle, liste de noms à laquelle on ajoutera, pour faire bonne mesure, les Malick, Scorsese, De Palma et autres Spielberg et Lucas côté réalisateurs; les Pacino, De Niro, Hoffman ou Beatty côté acteurs; on en passe, et de point négligeables, comme ces producteurs qui sauront leur laisser les coudées franches, au premier rang desquels Bert Schneider et Robert Evans. Il n’est, dès lors, pour ainsi dire rien qui résiste à cette levée magnifique, que Coppola se lance dans l’aventure du Parrain (3) ou Friedkin dans celle de The Exorcist, tant il est vrai aussi qu’une frange du cinéma américain s’applique à redécliner ses genres, horreur et fantastique en tête. Non sans que la production soit gagnée insensiblement par un sentiment aigu de parano – celui qui animera pareillement One Flew Over the Cuckoo’s Nest de Milos Forman que Taxi Driver(1) de Scorsese, et jusqu’à Apocalypse Now de Coppola, qui ponctue la décennie dans le génie et la démesure d’un enfer philippin figurant – une fois encore – celui du Vietnam.

A l’euphorie des heures triomphantes de la contre-culture succèdera le désenchantement d’une reprise en main par les studios, spectaculairement cristallisée autour de la banqueroute de Heaven’s Gate de Michael Cimino, authentique chef-d’£uvre mais flop non moins avéré; désordre auquel l’industrie s’empressera de remettre bon ordre.  » A Hollywood, les années 70 furent la décennie des réalisateurs, ils ont réussi à imposer ce qu’ils voulaient. Dans les années 80, les producteurs ont repris en main les rennes de l’industrie, et refait des films comme avant« , observe aujourd’hui Dennis Hopper, lucide. Le tout, sur arrière-plan d’une Amérique en pleine mutation, opérant la transition entre les idéaux désormais calcinés des sixties et les valeurs frelatées des années Reagan.

Certains avaient, au demeurant, anticipé le mouvement, les Jaws de Spielberg et autre Star Wars de Lucas, mettant le cinéma à l’heure du pop-corn réinventé, brèche dans laquelle s’engouffrerait bien volontiers le public. Ce qui arrachera à Paul Schrader, le scénariste de Taxi Driver, ce commentaire laconique: « La Guerre des étoiles , c’est le film qui a bouffé l’âme et le c£ur de Hollywood. On lui doit la vague des bandes dessinées à gros budget, et la mentalité qui va avec. » **

* Le cinéma américain des années 70, par Jean-Baptiste Thoret, Éd. des Cahiers du Cinéma.

** Le nouvel Hollywood, par Peter Biskind, Éd. Points.

Texte Jean-François Pluijgers

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