Le Festival de Gand a trouvé son identité en s’attachant plus particulièrement à la musique de film. Sa 35e édition, qui s’ouvre mercredi, est l’occasion de faire le point sur un paysage sonore en profonde mutation.

Aux Etats-Unis, où la plus grande tradition de la musique de film a pu se développer dans les ors de Hollywood, certains n’hésitent désormais plus à parler de la mort programmée des compositeurs pour le cinéma. Ces sonneurs d’alarme, s’exprimant régulièrement dans les médias spécialisés, accusent deux tendances lourdes qui ne cessent de prendre de l’ampleur depuis une décennie au moins. D’abord, le remplacement de plus en plus fréquent d’un « score » composé spécialement pour le film par une compilation de chansons préexistantes et généralement populaires. Ensuite et plus « vicieusement », la redéfinition du travail du compositeur vers le montage de sons samplés en lieu et place d’une vraie partition musicale.

Généralisation digitale

Si d’authentiques créateurs tiennent encore le haut du pavé hollywoodien, singulièrement Howard Shore ( Lord Of The Rings) et Danny Elfman (les films de Tim Burton), les choses ont en effet considérablement bougé depuis les années 80 et la pénétration des premières techniques digitales, largement améliorées et généralisées depuis. Pour un « score » orchestral, conjuguant travail mélodique et harmonique, combien de bandes sonores ne sont-elles pas aujourd’hui simple addition de boucles rythmiques et atmosphériques relevant de la musique d’ambiance? S’ajoutant à la propension de nombreux producteurs à recycler les succès pop/rock des années 70 à 90 pour donner au soundtrack de leurs films des allures de best of séduisants pour l’oreille d’un large public, le phénomène ne laisse pas d’inquiéter les tenants d’une tradition en nette perte de vitesse.

Pourtant, quelques cinéastes pratiquent la compil’ de manière intelligente et originale, comme Sofia Coppola dont le Marie-Antoinette puisait avec bonheur dans le répertoire post-punk du début des années 80 (Gang Of Four, New Order, etc.). La fille de Francis est, dans la génération montante, celle qui montre sans doute la plus grande attention au soundtrack, comme l’atteste aussi celui de Virgin Suicides, demandé au groupe ambient français Air. Elle-même réalisatrice de vidéos musicales (pour… Air mais aussi Kevin Shields et les White Stripes), Sofia Coppola ne joue pas la carte de la modernité par paresse mais pour en tirer le meilleur parti créatif.

Chez les musiciens eux-mêmes, la personnalité qui semble émerger avec le plus d’éclat est sans doute Clint Mansell. Cet ex-chanteur et guitariste du groupe rock anglais Pop Will Eat Itself s’est révélé au cinéma en signant le « score » des films de Darren Aronofsky. D’abord p, en 1998, puis surtout Requiem For A Dream deux ans plus tard, film culte d’une génération qui fit du soundtrack de Mansell un succès inattendu. Une utilisation à la fois percutante, expressive, mystérieuse et attachante du registre électronique s’est poursuivie chez lui par un passage à un travail avec ch£ur et orches-tre qui affiche son aptitude à évoluer au fil des projets.

Les exemples de Sofia Coppola et de Clint Mansell démontrent que tant la tendance compil’ que le basculement vers les sons « samplés » peuvent (aussi) engendrer d’excellentes et stimulantes bandes musicales pour le grand écran. Dans un univers cinématographique où les épousailles entre film et musique inspire aussi des £uvres aussi singulières et novatrices que le dylanesque I’m not there de Todd Haynes, les raisons d’espérer sont aussi manifestes que les motifs de crainte.

Texte Louis Danvers

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