RETOUR SUR UN ÉPISODE CONGOLAIS DE LA GUERRE 14-18, POINT DE DÉPART D’UNE RÉFLEXION SUR L’AMITIÉ DOUBLÉE D’UNE CRITIQUE DU SYSTÈME COLONIAL. ÉDIFIANT.

Madame Livingstone

DE BARLY BARUTI ET CHRISTOPHE CASSIAU-HAURIE, ÉDITIONS GLÉNAT, 128 PAGES.

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Les Jardins du Congo de Nicolas Pitz, Africa Dreams des époux Charles épaulés par Frédéric Bihel, Retour au Congo de Hemann père et fils, Kongo de Tom Tirabosco et Christian Perrissin et maintenant Madame Livingstone du tandem Barly Baruti-Christophe Cassiau-Haurie… En deux ans à peine, on dénombre plus de BD enracinées dans l’ancienne colonie belge qu’avant ça en 66 ans, depuis un certain Tintin au Congo.

Un filon en or (ça tombe bien, le sous-sol en regorge) exploité dans l’ensemble avec bonheur. Ce Madame Livingstone, qui prend pour toile de fond un haut fait d’armes de l’armée belge en 1915 sur les rives du lac Tanganyika, ne sera pas le caillou sur lequel trébuchera la série prolifique. Il faut dire que l’immensité du territoire, son méli-mélo ethnique, son aura mystérieuse comme la relation d’amour-haine entre Bruxelles et Kinshasa ont de quoi fouetter l’imagination. Et singulièrement celle de Barly Baruti, dessinateur congolais passé par les studios Hergé il y a 25 ans (époque Bob De Moor), qui mêle ici récit d’aventure historiquement avéré et réflexions humanistes -taillées dans la fiction celles-là- sur l’amitié, sur la tolérance, le tout révélant au grand jour l’absurdité de la guerre en général, de sa variante exotique en particulier.

Livingstone, je présume?

Gaston Mercier est un jeune pilote d’hydravion envoyé à Albertville pour tenter de couler le redoutable cuirassé allemand Graf Von Götzen qui empêche la Force publique d’aller chatouiller l’armée du Kaizer de l’autre côté du lac. Mais il faut d’abord le repérer, ce monstre de métal. Mercier se voit donc assigner un fixeur excentrique (un métisse qui porte le kilt et se fait appeler Madame Livingstone sous prétexte qu’il est le fils naturel du célèbre aventurier). Très vite, un lien d’amitié va se tisser entre les deux hommes, au-delà de la barrière culturelle et du régime d’apartheid en vigueur. Au gré de leurs escapades, le lieutenant est de plus en plus fasciné par cet autochtone qui parle un français châtié et connaît le coin comme sa poche. Non content de lui sauver la peau, ce dernier va l’initier aux charmes de son pays et lui ouvrir encore plus grands les yeux sur l’iniquité d’un système colonial ingrat qui a importé « sa » guerre au coeur de l’Afrique. Soumis à une puissance étrangère, les Congolais sont priés de se battre en son nom contre un ennemi assigné. Une sorte de double peine en quelque sorte.

A l’image d’un dessin faussement classique en couleurs directes qui restitue admirablement les variations d’une nature luxuriante, et épouse avec subtilité les contours des états d’âme, cet album privilégie la nuance, l’entre-deux. Tous les Blancs ne sont pas des salauds finis, certains officiers supérieurs laissant par exemple entrevoir qu’ils ne sont pas dupes du rôle qu’on leur impose. Même si au final, comme dans toute guerre, il n’y aura que des perdants.

LAURENT RAPHAËL

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