Le monde selon Théo

Théo Grosjean s’essaie au récit long, sans changer d’ADN: un personnage-miroir, exutoire de ses angoisses, et cette fois spectateur de sa propre vie.

John Irving avait son Garp, le français Théo Grosjean possède son Samuel: Le Spectateur va en effet, tel le roman de l’Américain en 1978, raconter toute l’existence de son personnage principal, de l’intérieur du ventre de sa mère à son dernier souffle. Un concept déjà très fort en soi, auquel Théo Grosjean en ajoute deux autres tout aussi forts: Samuel est muet, du moins il ne parle pas et ne parlera jamais, et toute l’histoire de sa vie nous est racontée en caméra subjective, donc vue, plus que vécue, à travers les yeux de Samuel -un personnage omniprésent mais dont on ne verra le visage qu’au détour, rare, d’un miroir, d’une flaque d’eau ou d’un pare-brise. Samuel va traverser une vie (très) triste, (très) dure et (très) contemporaine, marquée par la mort de sa mère, la distance de son père, les drames, la solitude, l’incompréhension et -forcément- ses incroyables difficultés de communication. Car comme le titre et cette caméra subjective le font savoir très vite, Samuel se sent spectateur plus qu’acteur de sa vie et ce, même s’il connaîtra la fraternité, l’amour et qu’il deviendra l’artiste inconnu le plus connu du monde -avant que le monde ne passe vite à autre chose. On ne s’étonnera donc pas non plus, vu la similitude de leurs problèmes existentiels, que le Samuel de Théo Grosjean ressemble furieusement et physiquement, pour ce qu’on en voit, à L’Homme le plus flippé du monde, le personnage et alter ego qui a fait de son auteur une star des réseaux sociaux, et un des « newcomers » les plus intéressants à suivre, pile poil dans le ton de sa génération: un rien plombé.

Le monde selon Théo

Si proche, si différent

Si ce Spectateur n’est pas le premier album de Théo Grosjean (la collection Shampoing de Lewis Trondheim a publié son premier récit, de fantasy, en 2018 ainsi que deux compilations de son Homme le plus flippé du monde), celui-ci se veut d’évidence important dans sa jeune carrière, tant il s’écarte du récit court, « adulescent » et humoristique tels qu’il les enchaîne sur Instagram et désormais dans Spirou (avec Elliot au collège), pour créer un récit à la fois contraire -long, pas drôle du tout, sous haute influence de la BD indé américaine -et en même temps très ressemblant- des cases rigoureusement carrées, pour porter un propos très générationnel baignant dans le mal-être existentiel. On ressort de la lecture du Spectateur comme on assiste parfois à la première performance réellement dramatique d’un acteur tragi-comique: un peu plus dérouté que convaincu.

Le Spectateur

De Théo Grosjean, éditions Noctambule, 168 pages.

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