Mafieux haut en couleur dans In the Electric Mist, John Goodman a fait de la Louisiane, cadre du film, sa terre d’élection. Il évoque l’après Katrina.

Allez savoir pourquoi, mais à l’instar de… Tommy Lee Jones, son partenaire face à la caméra de Bertrand Tavernier, John Goodman traîne, au sein de la gent journalistique, la réputation d’un interlocuteur peu commode: l’empêcheur d’interviewer en rond, le champion du monosyllabe définitif. Lui viendrait-il l’envie de pousser une gueulante façon Walter Sobchak, dans The Big Lebowksi, que l’on en connaît plus d’un qui prendrait ses jambes à son cou.

On n’en est pas là, mais la tension est perceptible lorsqu’on se retrouve à quelques-uns à pénétrer dans ce salon d’un hôtel berlinois où l’acteur assure la promotion de In the Electric Mist (critique en page 28). S’il a le sourire plutôt engageant, son imposante stature ne manque pas d’impressionner – solidement planté dans un sofa, Goodman s’en amuse à l’évidence, les quelques chaises disposées en rangs d’oignon à destination des journalistes ayant, tout à coup, l’apparence d’accessoires de maison de poupée. Histoire de compléter le tableau, le voilà qui précise d’emblée, interrogé sur le travail requis par son rôle de franche crapule à l’écran: « c’est comme si j’avais roulé hors de mon lit pour me jouer moi-même. » Le rire qui complète la réflexion annonce toutefois ses dispositions du jour – excellentes.

« J’avais vu Round Midnight de Bertrand Tavernier, que j’avais adoré, raconte Goodman. J’étais sincèrement flatté de le rencontrer, et travailler en sa compagnie s’est révélé un plaisir. Le talent est international, et Bertrand Tavernier en a beaucoup: il a réussi à restituer la texture de la Louisiane du Sud dans son film, en même temps qu’il en faisait un personnage à part entière. Et il a su faire du désastre de Katrina, présent à travers d’innombrables décombres, une partie naturelle du film, sans le moindre surlignage… » Le comédien parle en connaissance de cause, puisqu’il a fait de la Louisiane sa terre d’élection – « N’allez pas y voir la raison de mon implication dans ce projet, précise-t-il. J’ai toujours aimé les romans de James Lee Burke, et je n’allais pas décliner une telle opportunité. »

Quant à Katrina, et les ravages produits sur la région et sur les êtres? « Katrina a laissé la cicatrice du doute et du manque de confiance chez les gens. C’est un désastre provoqué par l’homme – les digues, censées résister à un déluge, n’ont pas tenu. Cette cicatrice est désormais consubstantielle de la Louisiane. » A quoi il ajoutera, philosophe: « Les habitants se sont, comme toujours, révélés pleins de ressources, et ont montré leur capacité à faire énormément au départ de rien. C’est comme cela que la culture acadienne s’est développée, de même que la culture afro-américaine. »

En attendant les Coen

On comprend, à l’aune de cette implication personnelle, qu’ In the Electric Mist, et le rôle haut en couleur de Julie Balboni – « mon personnage profite de la situation provoquée par Katrina pour abuser les gens », résume-t-il, lapidaire – représente beaucoup plus à ses yeux qu’une ligne supplémentaire dans un CV déjà bien rempli. Au fait, a-t-il évoqué avec son camarade de tournage Tommy Lee Jones leurs expériences respectives avec les frères Coen? « Non, elles sont totalement différentes. » Celle de Goodman, qui l’a conduit de Raising Arizona à O’Brother en passant par Barton Fink, The Hudsucker Proxy et, naturellement, The Big Lebowski, serait même du genre incomparable: « Si cela ne tenait qu’à moi, je travaillerais avec les Coen tous les jours. Mais voilà des années que l’on ne s’est plus parlé. Ils sont occupés, ils suivent leur voie, et je continue d’admirer leur travail. J’ai eu une chance inestimable de travailler pour eux. Et qui sait, un jour peut-être… »

Pour tuer le temps, le voilà qui s’apprête à interpréter… En attendant Godot sur une scène new-yorkaise: « Il y a trois ans que je n’ai plus joué sur scène, je suis déjà effrayé. J’essaye de mémoriser mon texte. Je m’améliore: il y a quelques années, j’étais même incapable de retenir quel jour on était… »

Entretien Jean-François Pluijgers, à Berlin.

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