Effet miroir – Le portrait sous toutes ses facettes. Un voyage ambitieux signé Max Kozloff. Et au bout de la route, un instantané vertigineux de l’humanité.

De Max Kozloff, éd. Phaidon, 336 pages.

La photographie est un continent divisé en deux. Avec d’un côté, le portrait. De l’autre, la photo de paysage. On ne sait s’il faut l’attribuer à un besoin impérieux de redonner sa place à l’individu dans un monde de plus en plus impersonnel mais le portrait a en tout cas la cote ces temps-ci.

Paris célèbre Richard Avedon, Londres confronte le portait de rue et de studio dans une exposition patchwork grisante ( Street & Studio à la Tate Modern), Bruxelles déroule le tapis rouge aux instantanés faussement uniformes de Charles Fréger ( voir page 42). Dans le même temps, le critique Max Kozloff publie chez Phaidon un passionnant essai richement illustré, Jeu du visage, dans lequel il retrace l’histoire du portrait des origines à nos jours.

 » On m’a parlé de peuples, et d’humanité. Mais je n’ai jamais vu de peuples ni d’humanité. J’ai vu toutes sortes de gens, étonnamment dissemblables », écrivait le poète portugais Fernando Pessoa. Car c’est bien le caractère unique de chaque individu qui confère au portrait son aura, ce mélange étonnant de séduction et de fascination.

Qui ne s’est pas un jour surpris à sonder des visages inconnus sur un cliché comme s’ils allaient se mettre à parler et nous révéler un secret qui allait changer notre vie? A moins que ce soit une part de nous-mêmes que nous cherchons désespérément à capter dans les expressions figées des autres?

Work in progress

Si ce mystère traverse les âges, comme un fil rouge, la route du portrait n’en a pas moins épousé des chemins sinueux, dictés par l’humeur de l’époque comme par les contingences techniques.  » Un empilage de préparatifs, d’improvisations, de coups méticuleusement ourdis, de rencontres providentielles et de guet-apens« , résume le critique américain. Ainsi, à l’aube du 20e siècle, si les clichés souffrent d’une certaine raideur, c’est autant à cause du décorum réclamé par le commanditaire qu’en raison des temps de pose nécessaires pour les prises de vue.

En ces temps lointains, certains photographes utilisent déjà la photo pour témoigner, voire dénoncer. En particulier l’Américain Lewis Hine, qui saisit dans leur effroi les hordes de sans-grades, immigrants fraîchement débarqués ou enfants exploités sans vergogne dans les mines. Mieux qu’un long discours, les visages graves et souillés disent toute la détresse et la souffrance.

L’exploration narcissique (à l’image des autoportraits d’Egon Schiele), le récit de l’histoire (dans le sillage des Capa, Seymour et Cartier-Bresson), l’éloge de la différence (sociale, religieuse, ethnique…) ou encore le questionnement identitaire (sous la houlette de l’artiste Cindy Sherman notamment) moduleront par la suite ce work in progress qu’est l’art du portrait.

Un tour d’horizon érudit qui brasse l’humanité dans sa diversité et montre que le portrait se construit à deux dans un dialogue plus ou moins appuyé entre le photographe et son sujet. Même si étonnamment, c’est toujours de nous que parlent ces images.

Manquent à l’appel certaines icônes (Penn, Avedon ou Arbus notamment). La faute non à un oubli grossier mais aux ayants droit qui n’ont pas jugé utile de figurer dans cette somme. Tant pis pour elles. Notre regard peut ainsi se porter sur d’autres trésors moins connus, moins clinquants. Comme cette Reine Elisabeth à la peau noire imaginée par Tibor Kalman. Preuve qu’un portrait peut en cacher un autre…

Laurent Raphaël

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