Qui a dit que le jazz vocal devait se limiter aux crooners? Pas José James, dont le premier album, The Dreamer, déroule un groove chaud et intègre. De quoi mettre du baume au cour.

Quand on le rencontre, il a son éternelle casquette de rappeur vissée sur la tête. Qu’on ne s’y trompe pourtant pas: José James, né à Minneapolis au début des années 80, est bien l’une des dernières sensations jazz en date. Pour cela, il a suffi de The Dreamer, son premier album sorti à l’hiver dernier. Un petit bijou de jazz cool, sur lequel José James vient poser sa voix. Ces dernières années ont vu un regain d’intérêt pour des crooners nouvelle génération, façon Michael Bublé ou Jamie Cullum? José James évolue cependant sur un autre terrain. A ce sujet, on croit souvent entendre Terry Callier ou Gill Scott-Heron: il y a pires références, on l’avouera. Le jazz n’était pourtant pas une donnée de base évidente pour le jeune chanteur métis. « Ma mère était dans un trip hippie, à écouter du folk et du rock. Des gens comme Janis Joplin, Hendrix, les protest singers… «  Soit des musiciens très loin de la sphère jazz. « Oui, mais en même temps, ces artistes ont pu m’apprendre à raconter une histoire et à emmener les gens ailleurs. C’est comme cela que je vois mes textes: comment et où vais-je emmener celui qui prend la peine de tendre l’oreille? C’est une question de franchise, un pacte sacré que vous passez avec l’auditeur. »

La découverte du jazz a lieu vers 14 ans, avec de vieux enregistrements de Duke Ellington, entendus à la radio. A partir de là, José James remonte la filière: Billie Holiday, Louis Armstrong, Charlie Parker, Monk, Coltrane… Les sons ne lui étaient évidemment pas inconnus: il est plongé à ce moment-là dans le hip hop. « Or dans les années 90, on a vraiment assisté à une renaissance du sampling. C’était intéressant parce que d’une certaine manière, cela introduisait à plein d’autres musiques. Les trucs que j’écoutais piquaient dans la soul et le jazz: c’était A Tribe Called Quest, Digable Planets, Gangstarr, De La Soul… »

Au lieu de creuser le sillon rap, comme la plupart de ses camarades, José James bifurque donc vers le jazz: « On est attiré par la musique qui raconte le mieux ses expériences. Je n’étais pas trop le rebelle du coin, à gueuler contre la société. J’étais plus attiré par des questions personnelles, émotionnelles, ou psychologiques. Des choses plus profondes que j’ai entendues chez Billie Holiday, ou John Coltrane. C’est une musique dans laquelle il y a le monde. Pour moi, le hip hop est un genre hyperspécifique. Même si c’est devenu une musique globale, cela me fait toujours penser à New York. J’adore A Tribe Called Quest, Midnight Marauders est un classique indémodable. Mais, peut-être à cause des textes, cela sonne très particulier. Quand j’écoute Billie Holiday, elle aurait pu vivre il y a un millier d’années et toujours me parler. »

PROFONDEUR

Après un premier échec, et avoir remis ses ambitions au tiroir pendant trois ans, il s’inscrit finalement à la New School For Jazz & Contemporary Music, à New York.  » L’école m’a évidemment appris des choses. Mais l’objectif était d’abord d’y rencontrer du monde. «  Et puis confronter aussi ses idées, sa vision de ce que pourrait être le jazz vocal aujourd’hui. « J’ai trouvé des gens de mon âge qui pensaient comme moi: ne pas se retrouver à jouer tout le temps les mêmes standards, ne pas se contenter de devenir le dernier truc établi. Cela m’a conforté. »

Le genre de discours susceptible de plaire aussi à des gens comme Gilles Peterson, DJ anglais et patron de label, expert des musiques noires en tous genres, de la soul au funk en passant par le jazz, la house… Quand José James participe à un concours à Londres, il en profite donc pour filer à Peterson une copie de la version qu’il a faite d’ Equinox, de Coltrane. Et ça marche. « Je ne pensais pas que de tels chanteurs existaient encore, dira le DJ. Il est là pour nous rappeler pourquoi nous aimons tant la musique ». L’Anglais le signe donc sur son écurie, et sort The Dreamer. José James y reprend notamment Spirits Up Above de Rashaan Roland Kirk, mais aussi, racines hip hop obligent, le Park Bench People des Freestyle Fellowship, groupe culte des années 90. Le fil rouge? Sa voix forcément, et surtout un sens du groove épais et moelleux, chaleureux et intègre. Le genre de musique qui agit comme un baume. A ce sujet, la rencontre avec Louis Alemayehu a laissé des traces chez José James. Le poète-activiste a été impliqué dans le mouvement Black Art des années 70, « branche artistique » du Black Power. Il revendique surtout une poésie inscrite dans le quotidien. Il publie d’ailleurs peu, mais écrit volontiers pour des mariages, des funérailles… Comme une sorte de poète d’utilité publique. José James ne voit pas sa musique autrement. « Je voulais faire un premier album qui puisse faire partie de la vie des gens. Une musique à la fois élégante et puissante, comme celle que peuvent jouer des gens comme Ben Webster ou João Gilberto. Si vous écoutez attentivement leurs disques, vous y trouverez une vraie complexité. Mais si vous les passez juste en cuisinant, cela fonctionne aussi… Par exemple, vous rentrez chez vous le soir: vous retrouvez votre amour, ou bien vous êtes simplement seul, peut-être un peu déprimé. Ce genre de moment où vous avez besoin d’écouter un truc qui vous dise que tout va bien, de manière authentique, sans délirer. Une musique qui vous dise: ok, la vie est comme ça, mais demain est un autre jour, avec de nouveaux choix, de nouvelles possibilités. » C’était le pari de The Dreamer. On peut dire qu’il est réussi.

u The Dreamer, Brownswood Recordings. En concert à Anvers, au Jazz Middelheim, le 16/08.

u www.myspace.com/josejamesquartet

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