DANS LA FOULÉE DE CLOCLO, JÉRÉMIE RENIER EST PARTI EN ARGENTINE, TOURNER ELEFANTE BLANCO DE PABLO TRAPERO. IL Y INCARNE UN PRÊTRE ÉVOLUANT DANS UN BIDONVILLE DE BUENOS AIRES, UNE EXPÉRIENCE « INCROYABLE ».

« J’aime la diversité, aller autre part, sur des sentiers que je ne connais pas… » Avec Elefante Blanco, le nouveau film de Pablo Trapero, l’auteur de Leonera et Carancho, Jérémie Renier aura vu ses voeux exaucés au-delà de toute espérance. L’acteur y campe le père Nicolas, un prêtre occidental fraîchement débarqué dans un bidonville de Buenos Aires aux mains des cartels de la drogue. Lequel verra ses convictions bientôt mises à l’épreuve d’un chaos que la caméra du réalisateur argentin traduit avec une suffocante intensité, celle-là même qui présida à l’évidence au tournage. « Il y a ce côté soit on rentre dans le délire de Pablo, et on se dit: OK, j’y vais, je pars et on est en guerre, soit c’est dur », opine Renier dans la quiétude d’un hôtel bruxellois, alors que l’on souligne l’impression de ferveur éprouvée devant le film. Et d’évoquer encore, à grand renfort d’anecdotes, l’énergie, la volonté et l’acuité du cinéaste.

Pour Jérémie Renier, l’histoire d’Elefante Blanco a débuté par un appel de… Jean-Pierre Dardenne. A Pablo Trapero qui recherchait un acteur pour son prochain film, les frères Dardenne ont soufflé son nom. « Il m’a envoyé le scénario que j’ai trouvé très beau, en anglais, tout en sachant que le film se ferait en espagnol. Mais quand j’ai vu qu’il s’agissait d’un des rôles principaux, je me suis dit que ce gars était fou. » L’acteur ne parle pas la langue de Cervantes en effet, et souhaite par ailleurs se poser quelque peu, tandis que le réalisateur veut commencer à travailler au plus tôt. Après quelques tergiversations, la curiosité l’emporte cependant: « Cela tombait bien après Cloclo, il y avait quelque chose du contre-ordre total qui m’emmenait complètement autre part. Si cela arrivait à ce moment-là, c’est qu’il y avait une raison, parce que après Cloclo, j’avais envie de quelque chose de plus proche de la vie. »

Le séjour argentin du comédien sera finalement long de trois mois et demi, le temps indispensable à la maîtrise de la langue venant s’ajouter à celui du tournage. « C’était très dur. Il y a des moments où on se demande ce qu’on fout là: on tournait dans des bidonvilles où même la police n’a pas le droit d’entrer. Nous avions une garde rapprochée qui faisait partie des cartels, et qui nous donnait des droits d’entrée. Tourner là-bas était assez fou, mais aussi fort riche. A la fin, nous avions de vrais liens avec les gens qui vivaient sur place. Et puis, il y avait le travail avec Pablo: on ne procède pas en Amérique du Sud comme en Europe, il y a une folie, un laisser-aller, une improvisation, une liberté qui sont impossibles ici. » De quoi faire du film une expérience « incroyable », nourrie d’enseignements tant professionnels que humains. Ainsi, déjà, du choc de la découverte des bidonvilles argentins. « La première fois que j’y suis allé, c’était assez violent. J’accompagnais une partie de l’équipe qui voulait faire des repérages dans ce bâtiment, l’Elefante Blanco, pour m’imprégner des décors. J’ai tout de suite vu des familles, des enfants, couchés par terre. Au-delà de la pauvreté, de la dureté, et de la crasse aussi, je me souviens être monté au balcon, d’où on voyait ces bidonvilles, énormes. Et en bas, il y avait un petit terre-plein, avec des détritus, où des gamins jouaient au ballon, pieds nus. Ils avaient l’âge de mes enfants, ils se marraient, et je me suis dit: « Putain! » Quand tu te retrouves comme ça en face d’enfants qui sont juste heureux parce qu’ils rigolent entre eux et n’ont aucune conscience de la situation dans laquelle ils vivent, ça te remet sur pied. Tu penses aux tiens, et à la chance que tu as et qu’ils ont… » Ou quand la prise de conscience se double d’une mise en perspective.

Ne pas se dire merde

A cet égard, et quoique éminemment singulier, Elefante Blanco vient s’inscrire dans la continuité d’une filmographie à l’ancrage social affirmé. « Je suis né dans ce milieu avec deux pères, les frères Dardenne, qui étaient très dans le social. Fort jeune, j’ai été attiré par des films qui n’étaient pas juste un divertissement ou une comédie, dans lesquels j’aime aller aussi (la preuve par Potiche ou Philibert, ndlr), mais dont on ressortait avec une questionnement sur soi et sa position par rapport au monde dans lequel on vit. C’est un cinéma qu’il est important de continuer à défendre même s’il a de plus en plus de mal à exister. Un film comme Elefante Blanco trouve la bonne justesse entre prendre aux tripes, se positionner, et faire découvrir quelque chose que l’on n’imaginait pas. Quand on voit ce qui se passe politiquement et sociologiquement autour de nous, il faut continuer à véhiculer des idées, à aller dans d’autres endroits où les choses ne se font pas pareillement, au lieu de se dire merde… »

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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