Entre ballon rond et littérature, ça n’a jamais été le grand amour. Les écrivains qui foulent le gazon sont rares… et précieux.

Le foot est resté longtemps sur la touche du terrain littéraire. A part quelques convertis de la première heure comme Camus (ancien portier du Racing Universitaire d’Alger…), Giraudoux ou Maurois, rares étaient les gens de lettres à se compromettre avec ce sport qui met le feu aux émotions et réveille le feu de Bengale des instincts grégaires. Aimer le foot, c’était forcément penser avec ses pieds. Donc abdiquer toute espèce de réserve, de jugement, d’esprit critique. Les Anglais ont tiré les premiers sur ce snobisme de salon. A la fois parce que le prolétariat y nourrit la fiction comme nulle part ailleurs et parce que le foot coule dans les veines des Britons comme la Guinness dans les pubs à la troisième mi-temps. Du coup, vouloir décortiquer la société anglaise sans chausser les crampons, c’est comme prétendre faire de la politique belge sans aborder la question communautaire. De la rue au stade, il n’y a d’ailleurs souvent qu’un pas. Un pas de trop parfois. Ainsi, en 1966, quand 3 policiers sont abattus de sang-froid par un petit malfrat, les tribunes de Old Trafford comme de Anfield reprennent en ch£ur:  » Billy Porter est notre ami, il flingue les flics! » Cette anecdote, qui montre que le foot est la continuation de la politique par d’autres moyens, hante le tableau féroce de l’Angleterre des sixties et du thatchérisme que dépeint en 2001 Jake Arnott dans Crime song – La ballade de Billy Porter. Même cohabitation décomplexée de la tête et des jambes déjà chez B.S. Johnson, auteur en 1969 d’un roman expérimental récemment exhumé où le compte rendu d’un match dans les Midlands ranime le souvenir disloqué d’un ami disparu ( Les malchanceux). Finalement, ce qui intéresse les écrivains dans le foot, ce ne sont pas tant les dieux du stade que les ouailles qui les regardent. En 1990, Bill Bufford, alors directeur de la revue littéraire Granta, marque les esprits en racontant à la première personne son immersion dans le petit monde rugueux des thugs ( Parmi les hooligans). Suivront en 1992 et 1996 les romans des 2 Chris Waddle de la littérature en short: Nick Hornby et John King. Carton jaune (porté à l’écran par David Evans), qui raconte sur un mode autobiographique la vie d’un supporter d’Arsenal, et Football Factory, portrait électrique de la classe ouvrière à travers les pérégrinations musclées et imbibées d’une petite bande d’acharnés de Chelsea, ont empoché les 3 points.

C’est à la même époque que le foot va commencer à devenir fréquentable de l’autre côté de la Manche. Le décloisonnement des genres -post-modernisme oblige- et la coupe du monde de 1998 sont passés par là. Résultat: les barrières tombent, les élites s’encanaillent. Même si ce sport ultra populaire reste proportionnellement peu exploré dans la littérature, il a désormais les faveurs de plumes de premier choix. Laurent Mauvignier (sur le drame du Heysel), Jean-Philippe Toussaint (sur le coup de tête de Zidane) ou François Bégaudeau (sur les ressorts philosophiques du foot) se sont frottés à cet univers impitoyable. On attend la deuxième mi-temps avec impatience… l

Texte laurent raphaël

« Les hémorragies cérébrales sont moins fréquentes chez les joueurs de football. Les cerveaux aussi! « 

Pierre Desproges

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