Le Dernier Mouvement

Emmitouflé dans une couverture sur le pont supérieur de l’Amerika, Gustav Mahler, 51 ans, fait la dernière traversée de sa vie, de New York vers l’Europe. Le sachant souffrant, le mousse est aux petits soins avec lui. Sa fille Anna et son épouse Alma sont restées en cabine. Le compositeur de génie mais de constitution fragile a alors tout loisir de dériver vers ses souvenirs, tant lumineux qu’assombris par le décès très prématuré de sa fille aînée Maria ou l’infidélité de celle qu’il aime mais qu’il a muséifiée ( » Elle avait raison […] Il l’avait regardée comme on contemple un vase« ). Tout entier imprégné de musique, rechignant à la séance de pose pour un buste de Rodin ou cherchant des réponses à la fracture de son mariage auprès de Freud, Mahler avait du mal à faire corps avec le monde qui l’entourait. Dans ce territoire ramassé de 120 pages, Seethaler capte son vague-à-l’âme et ses trouées de détresse avec une sensibilité sans pathos doublée de la douce attention impressionniste aux gestes et à l’infra-ordinaire (une sauterelle, des pommes luisantes, le goût d’Anna pour la marmelade) qu’on lui connait. On ne peut toutefois s’empêcher d’imaginer la variation du récit si c’était le point de vue d’Alma qui avait été au coeur. Figure ambivalente et bigger than life restreinte à être une héroïne d’Hopper avant l’heure ( » assise à attendre comme elle le fait depuis l’enfance […] et à regarder la vie passer« ), on la sent prête à échapper à la page comme au mariage au détour de chaque moment que le romancier lui accorde, comme en creux.

De Robert Seethaler, éditions Sabine Wespieser, traduit de l’allemand (Autriche) par Elisabeth Landes, 128 pages.

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