Romancier cinéphile, l’auteur de Testament à l’anglaise et Bienvenue au club a composé une carte blanche à l’invitation de Cinematek. En prélude à sa venue à Bruxelles, les 4 et 6 mai prochains, rencontre privilégiée autour de sa relation au Septième art.

Jonathan Coe et le cinéma, c’est l’histoire d’une passion. Celle qui fit de lui, dans une autre vie, un critique de cinéma doublé de l’auteur de biographies de James Stewart et Humphrey Bogart. Celle, encore, qui vient irriguer toute son £uvre romanesque, truffée de citations et références quand le cinéma n’y joue pas un rôle crucial, comme dans Testament à l’anglaise. Celle, aussi, qui le vit nourrir une obsession déraisonnable – mais ne le sont-elles pas toujours? – pour The Private Life of Sherlock Holmes, de Billy Wilder.

Ce film, et I Know Where I’m Going, de Michael Powell, Coe viendra les présenter dans quelques jours à Bruxelles, dans le cadre de la carte blanche qu’il a composée à l’invitation de Cinematek. En prélude à ce double événement, l’auteur a accepté d’évoquer son lien au cinéma, le temps d’un entretien ayant pour cadre l’appartement de Chelsea lui faisant office de bureau, à l’abri des rumeurs de la ville…

Dans la présentation de votre sélection, vous dites que choisir 25 films n’est pas seulement un plaisir, mais aussi une responsabilité. En quel sens?

Il y a des films que j’aurais pu choisir, qui sont très importants à mes yeux, ou très personnels, dont j’ai estimé qu’en faire l’expérience serait en demander un peu trop au public. Je pense, par exemple, à What a Carve Up!, de Pat Jackson, qui est à la base de mon roman éponyme ( Testament à l’anglaise, dans sa traduction française), un film qui a, à l’évidence, eu une importance considérable sur mon écriture, mais que je ne voudrais pas infliger au public bruxellois. J’ai tenté de choisir des films qui résonnent avec mes obsessions propres et mes intérêts, tout en étant plaisants – des films qui puissent déborder mon intérêt personnel pour attirer le public pour leurs qualités cinématographiques.

Comment est né votre intérêt pour le cinéma?

Deux choses ont compté, dans mon enfance, pendant les années 60: me rendre au cinéma avec mes parents, où les premiers films dont je me rappelle sont les Disney que l’on voyait à l’époque, Fantasia, The Jungle Book. Et en même temps, ce qui s’est peut-être avéré plus important, les films que plaçaient, sans raison apparente, les programmateurs dans les grilles télévisées. Les films que je découvrais au cinéma étaient en couleurs; ceux que je voyais à la télévision étaient de vieilles comédies, des courts métrages de Buster Keaton, Laurel & Hardy, Abott & Costello, mais aussi des comédies anglaises – domaine où nous jouissons d’une tradition très forte. Pas uniquement les comédies Ealing, d’ailleurs, mais aussi toutes ces comédies anglaises des années 50 et 60, qui semblaient avoir toujours les mêmes acteurs et évoluer autour des mêmes intrigues, si bien d’ailleurs que ces comédiens sont devenus comme une seconde famille pour ceux qui regardaient ces films.

François Truffaut a déclaré un jour:  » On peut se demander s’il n’y a pas incompatibilité entre le motcinéma et le mot Angleterre. » Votre sélection tend à prouver le contraire.

(rires) C’est une remarque qu’il a jetée dans son livre d’entretiens avec Hitchcock, quand il évoquait les différences entre les films anglais et les films américains de ce dernier. Cette réflexion continue à blesser les cinéastes anglais comme les critiques, je pense. Le problème, c’est qu’il y a une once de vérité dans ce qu’il a dit, et qui tient au fait que ce cinéma incline vers le littéral, le burlesque, la comédie facile. Les films anglais sont lourdement basés sur les dialogues plutôt que raconter une histoire par des images, toutes choses qu’il avait à l’esprit en faisant cette remarque. J’ai choisi des films présentant un sens poétique supérieur à celui dont il a fait crédit au cinéma britannique. On y trouve des éléments de commentaire social ou sur la réalité, mais qui vont parfois au-delà, pour s’inscrire aux confins d’un genre comme l’horreur, dans Don’t Look Now, de Nicolas Roeg, ou dans une espèce de surréalisme épique, comme O Lucky Man!, de Lindsay Anderson. Je souhaite montrer que le cinéma anglais peut aussi présenter une face plus sauvage, ou plus étrange, que l’on retrouve également dans les films de Michael Powell. Je suis ravi, lorsque je voyage en Europe, de constater l’enthousiasme pour le cinéma anglais, mais les deux noms qui reviennent encore et toujours sont Mike Leigh et Ken Loach, deux excellents réalisateurs mais obstinément réalistes. Il y a d’autres courants dans le cinéma britannique.

Plusieurs films de votre sélection ont en commun d’avoir été des échecs…

Ace in the Hole et The Private Life of Sherlock Holmes ont été des flops terribles pour Wilder; Playtime a pratiquement précipité la banqueroute pour Tati. Ce n’est pas un choix conscient, mais ces films très audacieux et personnels trouvent un écho chez moi. C’est par ces £uvres plus difficiles et pointues que l’on peut, pour moi, approcher au plus près de ce qu’étaient vraiment ces réalisateurs.

A quel niveau votre amour pour le cinéma influence-t-il votre travail?

En l’une ou l’autre occasion, j’ai façonné certaines transitions narratives, la juxtaposition de chapitres, en les visualisant comme un film. C’est le cas dans La Maison du sommeil et dans Bienvenue au club. Il y a des techniques isolées que l’on emprunte au cinéma, et puis des références récurrentes, comme celles au Orphée de Jean Cocteau dans Testament à l’anglaise. Ou, dans La maison du sommeil, tous les parallèles que j’esquisse entre dormir et rêver, et comment ces deux activités peuvent se mélanger dans l’esprit de ce critique insomniaque. Mais, fondamentalement, je pense qu’il s’agit de deux façons totalement différentes de raconter une histoire.

A l’image de What a Carve Up! dans Testament à l’anglaise, un film a-t-il joué un rôle crucial dans votre vie?

Le plus évident à pointer serait The Private Life of Sherlock Holmes, de Billy Wilder. Il y a aussi Gone to Earth, de Michael Powell, que je n’ai pas repris dans cette sélection, mais sur lequel j’ai beaucoup écrit dans La pluie, avant qu’elle tombe, mon dernier roman. Ce film a joué un rôle dans ma vie qui fait que ce qu’il représente m’importe plus que ce qu’il est vraiment. Ce n’est pas l’un des meilleurs films de Michael Powell, mais la façon dont il enregistre sur l’écran un paysage qui a beaucoup compté pour moi lorsque j’étais enfant en fait quelque chose de l’ordre du talisman.

Un film comme Vertigo, d’Alfred Hitchcock, tend à la perfection dans son agencement. C’est une articulation à laquelle une £uvre littéraire peut également prétendre…

C’est vrai. Je pense qu’il est toujours bienvenu d’être en contact avec de grandes £uvres d’art, films, peintures, symphonies. On ne peut, en regardant Vertigo, qu’avoir un sens de son rythme, de l’exactitude de la place de chaque chose, des incroyables modulations d’une tonalité à l’autre, et même d’un genre à l’autre – la façon dont on glisse d’une sorte de thriller vers quelque chose de beaucoup plus profond et émotionnel. Je suis inspiré par Hitchcock comme je le suis par Stravinsky: l’influence n’est pas directe, mais ces gens donnent à chaque artiste quelque chose à quoi aspirer. L’influence est plus directe avec un réalisateur comme Billy Wilder, dont les films reposent plus sur les dialogues et sont plus satiriques. Le ton de son £uvre est beaucoup plus proche de celui de mon travail. Ce mélange de satire et de mélancolie que l’on retrouve en particulier dans ses derniers films est très proche de ce que je fais, dans mon esprit.

Jonathan Coe introduira sa carte blanche et

I Know Where I’m Going, de Michael Powell, le

4/05, à 19 h, à la Cinematek.

An Evening with Jonathan Coe & Sherlock

Holmes, le 6 mai, à 20 h, au Studio 4 de Flagey:

entretien avec l’auteur, et projection de The

Private Life of Sherlock Holmes, de Billy Wilder.

www.cinematek.be

www.flagey.be

Entretien Jean-François Pluijgers, à Londres

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