La violence est la forme de radicalité la plus extrême. L’art en a fait son miel. Avant d’être débordée par la réalité.

En 1964, au festival américain de la Libre Expression, l’artiste Serge III Oldenbourg entre en scène au milieu d’un concert. Il tient dans une main un revolver, dans l’autre une balle qu’il introduit dans le barillet. Devant une assemblée médusée, il fait tourner plusieurs fois le barillet et applique le canon sous son menton. Sans sourciller, il appuie une fois sur la détente. Rien ne se passe. Il extrait ensuite la balle du revolver et la jette dans le public…

Ce Solo pour la mort pulvérise toutes les limites généralement associées à l’art. Celles de l’usage (on n’a jamais demandé aux artistes de mettre leur vie en danger), de la bienséance (en prenant le risque de se faire exploser la tête en public), de l’esthétique (le « spectacle » est trop proche du vrai suicide pour prétendre être juste une £uvre plastique) et de la psychologie (l’art est l’exercice de la sublimation, d’un mieux-être or ici, en convoquant la mort, l’artiste annihile toute aspiration à l’accomplissement de soi). Un dépassement des bornes caractérisé qui fait de cette mise en scène un parfait exemple de création extrême selon Paul Ardenne, historien et auteur de Extrême, esthétiques de la limite dépassée (Flammarion).

VIE VIOLENCE…

Aussi radicale que soit la démarche, elle n’en est pas moins esthétique. Et c’est bien là toute l’ambiguïté. En même temps qu’elles nous dérangent, nous heurtent, nous perturbent, ces manifestations artistiques extrêmes (du Salo de Paolo Pasolini revisitant le cycle sadien de la « merde » au camp de concentration nazi en… Lego de Zbigniew Libera) relèvent bien d’une démarche créative. Déjà parce qu’elles interrogent notre rapport à la violence. La morale voudrait que la brutalité, à cause de sa réalité, prenne le pas sur la représentation de cette brutalité. Or c’est l’inverse qui se passe. Des toiles de Bruegel ou Bosch représentant des damnés taillés en pièce par les suppôts de l’enfer aux scènes de « happy slapping » (ces courtes séquences vidéo où l’on voit des passants se faire gifler sans raison), on ne retient pas tellement la souffrance des victimes, mais bien une certaine idée désincarnée de la douleur.

Rien de nouveau au rayon borderline? Si. Avec la modernité, cette violence ne se cache plus sous un voile pudique. Ou simplement artistique. Elle s’exprime cru(elle)ment. Parfois sans raison apparente. A l’image des Snuf movies, ces pseudo-documentaires où défilent exécutions et sacrifices prétendument authentiques. L’art n’a donc plus le monopole de l’extrême. A force de rechercher l’émotion à tout prix, la radicalité a infusé le réel. Avec une conséquence directe: l’obligation de repousser sans cesse les limites pour maintenir le niveau de sensation. Un cercle vicieux dont il faudra bien sortir un jour. Sous peine de gommer définitivement la frontière entre le bien et le mal.

LAURENT RAPHAëL

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