CES JOURS-CI, LOU REED, TALIB KWELI, SONIC YOUTH ET D’AUTRES STARS PROCLAMENT LEUR SOUTIEN AUX MILITANTS D’OCCUPY WALL STREET ET AU MOUVEMENT INTERNATIONAL QUI S’OPPOSE AU POUVOIR OUTRANCIER DES BANQUES. DEPUIS TOUJOURS, MUSIQUE ET POLITIQUE COUCHENT ENSEMBLE, MAIS ILS FONT DE DRÔLES D’ENFANTS.

Fin novembre, le site de Pitchfork met en ligne des photos de Lee Ranaldo -guitariste de Sonic Youth- prises chez les insurgés qui squattent Wall Street depuis plusieurs semaines. L’article explique que toute une série de musiciens plus ou moins reconnus -Lou Reed, Laurie Anderson, Tom Morello et des dizaines d’autres- ont signé la pétition anti-Wall Street sur www.occupymusicians.com. Juste à côté, un publi-reportage filmé de 4 minutes -sur la rencontre de Brian Eno et d’un jeune musicien australien- est sponsorisé par… Rolex. Oui, la marque suisse fabriquant des montres de luxe à prix outranciers. Ce choc des mondes est typique du business et des médias rock qui mélangent si facilement idéologie et commerce, slogans et poses tribales. Flash-back.

Fin des années 70, les tribus skins symbolisent, en grande majorité, le néo-facho actif, bandes rampantes aux castagnes glauques, de préférence avec le prototype punk.

Il existe une photo prise au festival anglais de Reading en 1978 où une bande de crânes mal intentionnés envahit la scène pendant le concert de Sham 69. Un mec aux bras multi-tatoués plane et un autre exhibe son tee-shirt « Young National Front » comme une fille des rues dévoile obscènement sa marchandise: extrême-droite nauséeuse. Calculez l’ironie de la situation: les skins se sont entichés de Sham 69 juste pour ses poses working class, se mettant à le suivre partout, défonçant la frange public punky du groupe qu’il ne veut pas partager. Ce jour-là, sur la scène de Reading -le plus important festival de l’époque-, Jimmy Pursey, chanteur de 69, chiale, otage impuissant d’un vomi politique qui l’étouffe. Un peu comme Madness à ses débuts, Sham se retrouve avec un follow-up très à droite qui le colle et le pollue. Quatre mois auparavant, Pursey accompagne pourtant Clash dans un concert de Rock Against Racism (1) au Victoria Park de Londres: sur une carnassière version de White Riot, 80 000 personnes exercent le plus fantastique pogo de l’histoire (2). Le mouvement, soutenu par l’Anti-Nazi League , est à son climax: moralité rock 70’s, le bordel n’est pas seulement dans la rue entre skins, punks et teds, il est aussi gravement idéologique.

Tee-shirt sanglant

Alors que Pursey joue en scène à l’Union de la gauche militante avec Clash, Joe Strummer affiche un tee-shirt frappé de la double inscription « Brigate Rosse-RAF », soit les 2 groupuscules les plus virulents du terrorisme européen d’extrême-gauche des seventies, chargés de plusieurs dizaines de morts. Neuf jours après le concert de Victoria Park, les Brigades Rouges italiennes tuent Aldo Moro -politicien majeur de la Démocratie chrétienne- et la Rote Armee Fraktion, malgré la mort de Baader-Meinhof, continue ses campagnes sanglantes. On imagine mal John Ghinzu ou Barman dEUS apparaître en tee-shirt CCC à Werchter ou à Forest. Avec le recul, la provoc de Strummer paraît plutôt navrante mais le rock tolère-t-il une approche politique en dehors de slogans simplificateurs? Prenons le maître du rébus politique, Dylan, chantre supposé du protest-song, héritier volcanique de Woody Guthrie, le mec qui écrivait sur son instrument:  » Ma guitare est une arme à tuer les fascistes (sic).  » Dès 1966, dans une passionnante interview fleuve accordée à Playboy (3) , Dylan déclare:  » Le mot « message »me fait l’effet d’une hernie (…), les chansons à message, comme tout le monde le sait, sont des freins. Seuls les éditeurs de magazines universitaires et les filles célibataires de moins de 14 ans peuvent y consacrer du temps…  » Nouveau botter en touche métaphysico-dylanien. Mais si même le pape folk coopté par les droits civils prétend tout ignorer de l’engagement, que faire? Considérer que le rock n’est qu’un juke-box à gamineries idéologiques? Parfois, c’est pour du vrai. Comme dans cette histoire des MC5, pré-punks faramineux de Detroit: en intro à leur premier album Kick Out The Jams, bouclé live au Grande Ballroom de la Motor City à l’automne 68, on prêche la « révolution » Les guitares doivent faire le reste. Quelques mois plus tard, quand le manager du 5, John Sinclair, fondateur des White Panthers , se fait serrer avec 2 joints, il prend 10 ans de taule. Soutenu entre autres par Lennon (4), Sinclair en fera 3 mais, clairement, fin sixties, pour la justice nord-américaine, on ne plaisante pas avec l’idée même de révolution.

Résistance Underground

En août 1968, les Russes et leurs alliés du Pacte de Varsovie écrasent le Printemps de Prague, tentative du régime tchèque de libéraliser le parti communiste local. Un mois après l’invasion, le bassiste Milan Hlavsa forme un groupe qui défie musicalement la censure du néo-colonialisme de Brejnev. The Plastic People Of The Universe est né, traquant des mauvaises humeurs soniques, celles du Velvet justement, mais aussi des Fugs et de Zappa, ce dernier inspirant le nom du groupe. Freak et résistant, le Plastic entame une vie harcelée par le régime officiel qui ne supporte ni sa musique, ni son attitude, pas forcément révolutionnaires mais en dehors des canons communistes. En 1970, on retire aux musiciens la licence qui leur permet de jouer en live, en 1974, suite à un festival non autorisé, des dizaines de fans sont arrêtés et le groupe passe à la clandestinité. En 1976 tombe l’addition la plus lourde: accusé de  » trouble organisé contre la paix sociale », le Plastic et d’autres membres de l’underground tchèque sont condamnés à la prison ferme, de 8 à 18 mois. Le parolier canadien du groupe, Paul Wilson, est expulsé de Tchécoslovaquie: en 1982, le régime forcera également à l’exil le saxophoniste des Plastic, Vratislav Brabenec. Entretemps, la répression bovine qui s’abat sur ce groupe voulant simplement jouer sa musique enclenche la rédaction de la Charte 77, conçue par des intellectuels engagés comme Vaclav Havel, futur président de la Tchécoslovaquie libérée. Ereinté et démembré, The Plastic People Of the Universe jette l’éponge en 1988, mais quand Havel fêtera les 20 ans de la Charte 77 en 1997 donc-, il demandera personnellement la réunification des Plastic. Ce qui sera dûment fait, prouvant que parfois, un groupe rock fait activement partie de l’Histoire. Tout le monde n’a pas cette témérité dans un système communiste où, de menaces larvées en marchandages ambigus, l’Etat deale avec les musiciens candidats à l’export. Jouer à l’étranger se fera donc sous strictes conditions: partage des devises avec le gouvernement et mutisme absolu sur les droits de l’homme au pays. C’est l’histoire des Cubains de Los Van Van: dès le début des années 70 -un quart de siècle avant Buena Vista Social Club-, ces Rolling Stones de la salsa, champions du style charanga, tournent beaucoup en Europe. Tout en enregistrant une quinzaine d’albums sur le label discographique cubain (nationalisé): rencontrés au Sfinks à la fin des années 80, les Los Van Van calent systématiquement sur les questions des libertés chez Castro. A cette question, le leader Juan Formell (qui porte bien son nom) affiche un sourire embarrassé: sympathie castriste ou simple peur de la répression? Anouar Brahem, talentueux joueur d’oud tunisien, responsable de 10 albums de musique arabe moderne sur ECM, nous disait ceci il y a 2 ans à Paris:  » Bien sûr que j’ai une opinion sur le régime de Ben Ali, bien sûr que c’est une forme de dictature déguisée, bien sûr que je ne partage ni ses idées, ni ses méthodes… De nombreuses fois, on m’a approché pour que je soutienne officiellement son régime: j’ai décliné tant que j’ai pu mais ne vous faites aucune illusion, tous mes propos tenus à l’extérieur de la Tunisie sont scrupuleusement examinés, fliqués par la police du régime. La moindre critique de ma part et je sais qu’il y aura des mesures de rétorsion, que je serai empêché de jouer en Tunisie, qu’on pourra s’en prendre à ma famille, que je devrai sans doute prendre la route de l’exil. C’est pour cela que ce que je vous dis maintenant doit rester en off. » Un an plus tard, le printemps arabe balaie Ben Ali et on peut aujourd’hui publier Brahem en on, mais en Tunisie, en Egypte ou en Lybie, la musique reste loin de l’expression naturelle des démocraties de l’ouest. Ce qui se passe aujourd’hui, dans la glu de l’économie internationale et le mouvement anti-Wall Street, va-t-il donner un sursaut d’engagement au rock? Le Live Aid où Geldof aidait l’Afrique en 1985 va-t-il se muer en auto-Live Aid, redonnant une conscience politique à ceux qui l’ont oubliée, ou plus probablement, n’en ont jamais vraiment eue? Franchement, on en doute. l

(1) RAR EST FONDÉ EN 1976, NOTAMMENT SUITE AUX DÉCLARATIONS RACISTES D’ERIC CLAPTON LORS D’UN CONCERT À BIRMINGHAM, À LIRE HTTP://WWW.THEWEEK.CO.UK/PEOPLE/37315/NIGHT-ERIC-WASN’T-SO-WONDERFUL

(2) SUR YOUTUBE, THE CLASH-WHITE RIOT LIVE (1978 VICTORIA PARK LONDON)

(3) QUI NE FAISAIT PAS QUE DANS LA FESSE,HTTP://WWW.INTERFERENZA.COM/BCS/INTERW/66-JAN.HTM

(4) QUI ÉCRIT LA CHANSON JOHN SINCLAIR SUR SOME TIME IN NEW YORK CITY PARU À L’ÉTÉ 1972

EN CONCERT LE 07/12 À FLAGEY, WWW.FLAGEY.BE

TEXTE PHILIPPE CORNET

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