Le chant de la machine
Richement illustré, le livre La Fabrique du son retrace l’histoire de plus de 150 ans d’enregistrement sonore, des premiers phonographes à l’iPod. Passionnant.
Certes, vu des années 2000, l’arrivée du téléchargement illégal est le moment-clé. Celui qui a vu une industrie entière se faire laminer et des habitudes musicales être complètement bouleversées. Internet et ses pirates seraient ainsi à l’origine d’un véritable big bang, un cataclysme qui va mettre tout un secteur sur sa tête. Tout cela est vrai. Il ne faudrait toutefois pas oublier que la technologie du son, et de son enregistrement, n’a jamais cessé d’évoluer. De trouvailles géniales en accidents heureux, elle est peut-être même celle qui a le plus souvent muté: de support, de format, etc. En un peu plus de 150 ans, elle a en fait enchaîné les métamorphoses.
C’est ce que rappelle, magnifiquement, La Fabrique du son de l’Anglais Terry Burrows, sorti récemment aux éditions Textuel. Sous-titré La Première Histoire visuelle de l’enregistrement sonore, le livre réussit entre autres la gageure de mettre en image cette chose invisible qu’est le son. Piochant notamment abondamment dans les archives de la firme EMI, il aligne les photos d’archives, d’anciens appareils, de micros antiques, d’affiches de promotion d’époque, etc. Et de retracer ainsi plus de 100 ans de recherches et de rebondissements, durant lesquels, comme l’écrit Laurent de Wilde, jazzman et auteur notamment des Fous du son, « l’art côtoie la science sous l’égide bienveillante du commerce ». « Un siècle d’inventions frénétiques poursuivant toutes le même but: attraper ce fragile papillon qui volette autour de nos oreilles, le mettre dans une boîte et le faire miraculeusement renaître à la demande. »
Il y a une dizaine d’années, on pensait encore que c’était Thomas Edison qui avait réalisé le premier enregistrement audio au monde, en gravant en 1877 sa version de Mary Had a Little Lamb, sur une feuille d’étain posée sur un cylindre métallique. Vingt ans plus tôt, c’est pourtant une autre berceuse –Au clair de la lune- qui fut déjà enregistrée sur un support baptisé « phonautogramme ». Problème: son inventeur, le Français Edouard-Léon Scott de Martinville, avait trouvé comment capturer un son, mais pas comment le reproduire… Il n’empêche: les premiers pas d’une histoire sont posés, que Burrows découpe ici en quatre ères: acoustique, électrique, magnétique et digitale. Cette dernière étant d’ailleurs la plus succincte, balayée en une trentaine de pages à peine. Une époque où il est devenu moins crucial d’améliorer la qualité de la reproduction du son (le compressage de la technologie MP3) que de la dématérialiser. Symbolique: après avoir fait défiler les appareils, jusqu’aux plus loufoques (le gramophone Stollwerck, en 1902, capable de lire des disques en… chocolat!), l’une des dernières pages de l’ouvrage se contente d’aligner les logos des sites de streaming et téléchargements. Une autre époque, assurément…
La Fabrique du son de Terry Burrows, éd. Textuel, traduit de l’anglais par Franck Ernould, 350 pages.
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