AU PAYS DE PELÉ, DE CHICO BUARQUE ET DE SEPULTURA, FOOTBALLEURS ET MUSICOS ONT FLIRTÉ PLUS SOUVENT QU’À LEUR TOUR. PETITES HISTOIRES ET GRANDES QUESTIONS AVANT LE MONDIAL BRÉSILIEN…

Au Brésil, temple du ballon rond et de la samba, se sont de tout temps noués des liens étroits entre le foot et la musique populaire. La Seleçao, Maracana… Rien n’y fait, de Belem à Porto Alegre en passant par Sao Paulo, on tombe dedans quand on est petit. « Lorsque Chico Buarque chante, écrit Pierre-Etienne Minonzio dans son Petit manuel musical du foot, mine d’informations sur la question, ses contrats ont toujours une clause qui stipule non la présence de filles, de saumon sauvage ou d’héroïne dans la loge mais l’organisation par la production d’une pelada, une partie libre de football. » Dans Partido Alto, Buarque, pour qui une feinte de corps et une transversale parfaite méritent autant une plaque dans un musée qu’un tableau de maître, chante que « Dieu (lui) a donné de longues jambes et de la malice pour courir derrière un ballon et fuir la police« . Mieux, Chico s’est fait construire son propre petit stade à Recreio dos Bandeirantes et a créé le club de Polytheama dont il fut un temps à la fois le mécène, le recruteur, l’entraîneur et le milieu gauche.

Dans un autre genre, Max Cavalera collectionne les maillots des villes dans lesquelles il joue et a signé le jingle qui lancera les retransmissions des matchs de la prochaine Coupe du monde sur la chaine ESPN. Avec son groupe Sepultura, il a été jusqu’à organiser des rencontres de charité pour les restos du coeur brésilien.

Si Michel Telo doit son succès international au football et à un seul morceau, Ai se eu te pego, dansé par Cristiano Ronaldo et Marcelo après un but sur la pelouse de Malaga, et si les chanteurs de samba ont accompagné l’équipe nationale jusque dans les vestiaires des grandes compétitions pour motiver les joueurs avant les rencontres (Wilson Simonal a même fait partie de la délégation officielle au Mondial de 1970), les relations entre musiciens et footballeurs ne sont pas toujours faciles… L’histoire de Jorge Ben et de Fio Maravilha est par exemple du genre cocasse. Le 15 janvier 1972, Flamingo affronte Benfica à Maracana. Réclamé par le public, Maravilha monte au jeu et marque. A défaut d’avoir été filmée, la scène est racontée dans une chanson de Jorge. Fio Maravilha devient un hit au Brésil. Boris Bergman, parolier de Bashung, l’adapte pour Nicoletta. Mais le joueur, qui aujourd’hui promène son camion pizza dans les rues de San Francisco, veut se faire payer des droits pour l’usage de son nom. Jorge changera le titre de son tube en Filha Maravilha -comprenez « Fils prodige »- jusqu’à leur réconciliation en 2007.

Un terrain engagé

Quand ce ne sont pas les vedettes de la pop et du rock qui chantent ou pratiquent le foot, ce sont les stars de la Seleçao qui partent à l’assaut des charts. Ronaldinho a beau multiplier les collaborations musicales et Junior rester le footballeur brésilien à avoir vendu le plus de disques, Pelé revendique une centaine de chansons et a sorti en 2006 un CD accompagné d’un DVD compilant ses plus beaux buts.

Les relations étroites entre foot et musique prennent parfois au Brésil des tours plus politiques. Docteur en médecine, Socrates a usé de sa notoriété pour questionner les préjugés racistes que le Brésil réserve à la musique rurale. En 1980, il a signé un morceau de Sertaneja, la country brésilienne, qui rendait hommage à ses racines amazoniennes, et a été gravé à 50 000 exemplaires. Gilberto Gil, lui, a utilisé le football pour combattre le régime militaire. Notamment en soutenant Afonsinho. Premier joueur à affirmer des positions politiques allant à l’encontre de l’autorité dictatoriale…

Engagé et terrain de revendications sociales le Mondial à venir? Les Boogarins, jeunes rockeurs psychédéliques de Goiania, ne seront pas au pays mais s’interrogent. « Il y a trop d’argent dans le football aujourd’hui. Tout le fric englouti, pour les stades notamment, ça fâche. Nous n’avons aucune idée de ce qu’il va se passer. Si les Brésiliens vont rester calmes et festoyer ou profiter de l’événement pour foutre le bordel et se faire entendre. En tout cas, un projet de loi est passé et assimile les émeutes pendant la Coupe du monde à des actes terroristes. »

Le nettoyage des favelas pose aussi question. « Parce qu’outre des dealers et des criminels, elles abritent de nombreuses familles. L’an dernier, une quarantaine de clochards ont par ailleurs disparu de manière inexpliquée…  »

Musicien de Devendra Banhart, puis membre avec le Stroke Fab Moretti de Little Joy, Rodrigo Amarante ne mâche pas ses mots. « Ca fait plusieurs années que le gouvernement brésilien cherche un moyen d’éloigner la population des favelas, de construire autre chose à la place. Il faut croire que les dirigeants ont enfin trouvé leur excuse, confiait-il à So Foot. L’organisation de ce Mondial n’est pas une bonne chose pour le pays. Cet événement est surtout une très bonne occasion pour les grosses industries d’investir au Brésil et de se faire un tas d’argent. »

PETIT MANUEL MUSICAL DU FOOT, DE PIERRE-ETIENNE MINONZIO, ÉDITIONS LE MOT ET LE RESTE, 270 PAGES.

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BOOGARINS, AS PLANTAS QUE CURAM, DISTRIBUÉ PAR OTHER MUSIC.

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TEXTE Julien Broquet

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