Avec J’ai toujours rêvé d’être un gangster, Samuel Benchetrit a réalisé son rêve de gosse: tourner un film en noir et blanc. Un polar réussi.

Nous vous disions dans notre précédent Focus ( en page 30) tout le bonheur pris à savourer J’ai toujours rêvé d’être un gangster. Cette comédie douce-amère en noir et blanc à la Jim Jarmusch accueille des interprètes formidables, d’Edouard Baer à Jean Rochefort en passant par Anna Mouglalis et les Belges Bouli Lanners, Serge Larivière et… Arno. Derrière la caméra, Samuel Benchetrit filme de manière complice ces hors-la-loi d’occasion. Humour et tendresse se marient dans une atmosphère assez rock’n’roll, n’empêchant pas le film à sketches d’évoquer de manière assez sensible le passage du temps et des illusions. L’air toujours aussi juvénile (il aura 35 ans au mois de juin mais a encore l’allure d’un ado), l’écrivain et cinéaste français a commenté pour nous cette nouvelle expérience nettement plus sereine que celle de Janis et John. Lequel était sorti après la mort brutale et tragique de Marie Trintignant, interprète du film et compagne de son réalisateur…

J’ai toujours rêvé d’être un gangster est un spectacle à la fois éminemment jubilatoire et profondément mélancolique…

Cela correspond à des états d’âme et de vie que j’éprouve souvent. Je pense être un garçon de mon époque, tourné vers le plaisir de l’instant. Mais j’éprouve en même temps un profond respect pour ce qu’il y a eu avant, pour les classiques. D’où probablement ce mélange de mélancolie et de jubilation. Il y a dans le film une scène de flash-back à la Buster Keaton. Je l’ai tournée avec une vieille caméra Pathé, datant du début du XXe siècle. Et quand j’ai mis cette caméra sur un travelling, j’ai ressenti une totale cohérence entre le moment présent et ce vieil objet qui avait l’air tout menu, avec sa manivelle…

Tourner en noir et blanc n’est-il pas aujourd’hui risqué?

Cela rend en effet les choses très difficiles sur le plan financier. Vous devez déjà boucler le budget du film sans aucun apport des chaînes de télé. Lesquelles exigent la couleur pour ne pas faire de peine aux vendeurs de lessive qui y placent leurs pubs… Mais je ne pouvais pas tourner autrement ce qui était né d’un rêve de cinéma. Le rêve d’un gamin qui ne doute de rien. Je voulais faire un film en noir et blanc. A contrario, je serais encore incapable aujourd’hui de tourner en vidéo, tellement j’ai rêvé de chimie… Mon film est une sorte d’animal en voie de disparition.

Il évoque les différents âges de la vie, de l’enfance à la vieillesse, et le cours du temps qui passe. Etait-ce une volonté?

Sans doute, mais inconsciente. Je suis comme vous, je découvre maintenant tout ce que ce film contient, après l’avoir écrit et réalisé de manière intuitive, en me gardant bien d’analyser les choses. Le scénario est par exemple d’un premier jet, que je n’ai jamais voulu réécrire (certains diront que j’aurais dû)… J’avais envie – ce n’est pas très commercial, ce que je vais dire! – que ce film soit comme un cahier de brouillon, comme un de ces carnets de croquis que font les peintres et que je préfère parfois au tableau achevé.

Le titre est un hommage direct à Scorsese…

C’est en effet la première phrase des Affranchis. Mais j’aurais pu aussi l’appeler J’ai toujours rêvé de faire un film. C’est un film pour le cinéma. Pour ce cinéma que j’aime tant, de Scorsese à Jarmusch en passant par un Buster Keaton dont je montre beaucoup les films à mon fils de 9 ans. Il en avait 8 quand je lui ai fait voir La Strada de Fellini et cela l’a bouleversé. On a tendance à penser que les vieux films sont pour les intellectuels, alors qu’il n’y a pas plus populaire et directement touchant.

Qu’aimiez-vous voir au cinéma quand vous étiez gamin?

J’ai grandi dans une cité. Et avec mes copains, on adorait voir des films de voyous, avec des règlements de compte, des trucs violents. On était fascinés par Coppola, De Palma. On voulait tous être Tony Montana (de Scarface). A 12-13 ans, Les Affranchis de Scorsese m’a frappé, parce que c’était la première fois que je remarquais la présence du metteur en scène en filigrane des images.

Vous êtes un autodidacte, sur le plan du cinéma…

Je n’ai pas fait d’école, en effet. C’est peut-être une des raisons qui font que je laisse peu de chose s’interposer entre mes désirs de film et leur concrétisation. Pour les kidnappeurs de J’ai toujours voulu être un gangster, j’ai choisi deux comédiens belges formidables mais encore peu connus, Serge Larivière et Bouli Lanners. Alors qu’on me disait de partout:  » Si tu veux absolument des Belges, prend au moins des connus comme Poelvoorde et Gourmet! » Je ne fais pas ce genre de calcul. Et puis Larivière, c’est un de mes héros personnels. Je vais tourner de nouveau avec lui cet été, en lui donnant un personnage de mec extrêmement violent, qui va lui convenir à merveille, car c’est un vrai fou!

L’autre Belge dans le film, c’est Arno, dont les scènes avec Bashung sont épatantes.

Je ne connaissais personnellement ni l’un ni l’autre, mais ce sont mes chanteurs préférés. Il y a chez Arno une poésie incroyable, qui tient de l’homme autant que de ce qu’il chante. Bashung et lui ont des musiciens en commun, ils enregistrent tous deux leurs disques au studio ICP à Bruxelles, mais ils ne s’étaient jamais vus ni parlés. La rencontre de ces deux grands timides fut un moment merveilleux. Aucun ne connaissait son texte, et j’ai dû le leur souffler entre les prises. Mais c’était comme dans un rêve! Face à ces deux géants, je me sentais comme un enfant auquel on fait le plus beau des cadeaux.

ENTRETIEN LOUIS DANVERS

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