Bosseur, easy-listener, mixeur, poseur, crooner: la valse d’étiquettes dandy qui s’abat sur Bertrand Burgalat ne doit pas occulter une personnalité singulièrement attachante.

En 2001, dans le bureau-studio parisien de son label Tricatel, on découvre Burgalat remixant le Free Love de Depeche Mode. Il passe d’un orgue à la basse, triture des claviers, dépucelle un xylophone, agite les rythmes, réinvente les séquences. A la fin, la chanson anglaise est devenue burgalesque, c’est-à-dire pimentée de parfums légèrement désuets sans pour autant être datés. Né en Corse en 1963, fils de (sous-)préfet de la République, Burgalat est un instinctif cultivé: il parcourt les sons comme une dérive sans fin du cosmos musical, amoureux potentiel d’un délire à la Einstürzende Neubauten – avec lesquels il a travaillé à Berlin – ou compo-siteur proactif pour le prochain Marc Lavoine. Son appartement du XVIIe arrondissement a le confort bourgeois de la France pompidolienne mais c’est dans ce havre de paix que naît une bonne partie de ses idées modernistes. C’est là aussi qu’on le rencontre un jour avec son amie Valérie Lemercier, pour laquelle il compose et produit en 1996 un premier album solo. Il décide alors de créer une compagnie de disques indépendante, Tricatel, sur des modèles aussi indies que les écuries sixties de bubblegum américain ou El Records, label londonien des années 80. Burgalat ne fait pas grand-chose comme les autres: plus par intuition que par posture. Nouvellement marié depuis novembre 2007 à une accorte personne travaillant dans la mode, BB annonce vouloir tirer sa révérence scénique. Lors d’une soirée d’adieu au Botanique, qui fera ultérieurement l’objet d’un Live, rencontre avec un jeune homme moderne.

Ton dernier album Chéri BB n’est pas sorti sous forme physique, pourquoi?

Quand on sort un disque, on a tendance à aller voir d’abord les grandes chaînes, puis les magasins traditionnels et ensuite, à bâcler la vente par correspondance et Internet. Je me suis dit,  » Faisons le contraire« . Au moment de la sortie de Chéri BB, à l’automne 2007, on a sorti tout le fond de catalogue des magasins en le vendant exclusivement sur notre site: en un mois, on avait vendu plus de disques par correspondance qu’en deux ans via notre distributeur Virgin!

Après quinze ans de musique et de sorties diverses sur ton label Tricatel – de Michel Houellebecq à The Shades -, peut-on dire qui aime l’oiseau Burgalat?

Je rencontre des gens de milieux sociaux et d’âges très différents, des gens sans préjugés, curieux, je ne vois pas de stéréotypes. Musicalement, j’essaie d’aller vers plus de concision, d’être moins kaléidoscopique. Mais je n’ai pas de regrets: tous les malentendus sur mon image de parisien branché n’ont pas écarté ceux qui n’étaient pas paresseux. Avec le temps, je suis devenu assez critique vis-à-vis du public branché et beaucoup moins à l’encontre du grand public. Celui-ci – même s’il est influencé par le matraquage radio et le marketing – a une forme plus viscérale d’engagement: quelqu’un qui achète un disque de Cabrel l’écoute. Pour Camille par exemple, il y a davantage un truc lié au statut social.

Tu te sens prisonnier d’une certaine image parisianiste?

J’ai à la fois cette image branchée et je ne suis pas celui qu’il est de bon ton d’écouter. Et cela me va très bien (sourire). Même si je ne cherche pas à être incompris: chaque fois que je fais un morceau, je pense que d’autres gens peuvent l’aimer.

Ton label Tricatel s’est retrouvé au bord de la faillite mais a survécu, quelle est la place d’une telle entreprise aujourd’hui?

Aujourd’hui, Tricatel est un label indépendant, qui possède les droits de tous ses disques. Je me suis battu pour le maintenir, y compris à travers les faillites d’autres personnes. On a quitté le cycle infernal de produire un disque, puis d’en sortir un autre pour régler les dettes du précédent. L’étape suivante sera le studio que je suis occupé à installer dans les Pyrénées où je pourrai produire des disques de façon autarcique. Il faudra trouver une façon de diffuser qui soit gaie, pour garder le plaisir de faire de la musique. Et puis, à côté de cela, j’essaie de faire des projets beaucoup plus mainstream mais avec la même écriture. J’avais commencé avec Christophe Willem – pour lequel j’ai écrit trois titres et en ai réalisé cinq – et puis là, après un morceau pour Alizée, je travaille avec Marc Lavoine. Il n’y a pas de dédoublement de personnalité: je fais exactement le même genre de compositions que je ferais pour moi. En tant que producteur, je vais travailler avec un groupe belge, Aeroplane, auteur d’un remix magnifique de Grace Jones, une sorte de Moroder lent. Ils me font sortir de ma tanière.

Comme Robert Wyatt avec lequel tu as réalisé un duo pour Chéri BB!

Sur mon précédent album, Portrait-robot, sa femme Alfie, m’avait fait des textes. Wyatt me les chantait sur cassette afin que je voie comment positionner les mots! Mais là, le duo, c’est inespéré.

Comment considères-tu le marché de la musique aujourd’hui?

C’est comme si tout ce dont je rêvais s’était réalisé, sauf que cela vient un peu tard. L’industrie musicale telle qu’elle était, je la trouvais minable. Ma femme travaille dans la mode et je vois dans l’industrie du luxe ce que j’ai vu dans l’industrie du disque, il y a quinze ans. Des gens qui font n’importe quoi et cela marche! J’ai rencontré des distributeurs indépendants qui aimaient beaucoup moins la musique que certaines personnes bossant dans les majors. Je ne me suis jamais vu en chevalier blanc: la plupart des disques qu’on aime ont été sortis par des voyous aux Etats-Unis, le rock est une invention de la mafia (sic), les producteurs de cinéma n’étaient pas du tout des saints et ils ont fait des films formidables. Regarde l’audace des feuilletons américains alors qu’en France, on en est à Joséphine ange gardien et on nous parle d’exception culturelle! On est dans une période sans genre dominant, même si je vois les distributeurs indépendants en France qui, à cause du succès de The Do et Yael Naim, ne veulent plus entendre parler de disques en français. Si demain, on sort un disque en morse ou en chants des oiseaux qui marche, il n’y aura plus que cela. Les gens n’ont plus de certitudes en musique et c’est bien! l

La discographie de BB et de Tricatel est disponible sur www.tricatel.com

Texte Philippe Cornet

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