Laurent Durieux
Il signe la couverture et les illustrations du Focus spécial cadeaux que vous tenez entre vos mains. De Francis Ford Coppola à Nicolas Winding Refn, tout le monde s’arrache le travail de ce génial affichiste ucclois.
De lui, le réalisateur belge Fabrice du Welz ( Calvaire, Alleluia) dit qu’il est » un artiste pointu doté d’une sensibilité extrême qui apporte un éclairage d’une finesse prodigieuse sur les films« . Laurent Durieux vient de signer l’affiche officielle du nouveau film de du Welz, Adoration, qui sortira mi-janvier. Mais son actualité tient surtout à la parution d’un premier et très beau livre, Mirages, compilant le meilleur de son travail, agrémenté de nombreux textes et témoignages. En un peu moins de dix ans, Durieux, artiste aujourd’hui quasi quinqua, s’est imposé comme une référence majeure de l’art de l’affiche et de l’illustration contemporaine. Pourtant, ce natif de Braine-l’Alleud passé par Saint-Luc et La Cambre aura pris son temps avant de trouver sa voie. Alors qu’il nous reçoit dans son atelier ucclois, il se souvient: » J’ai travaillé pendant une vingtaine d’années comme graphiste dans l’institutionnel. Puis un jour, j’ai recommencé à faire des images pour le plaisir, pour moi, parce que j’étais complètement éteint, à deux doigts de la dépression, je souffrais de ne pas pouvoir exprimer ce dont j’avais envie dans mon quotidien. Les images que je me suis mis à créer ont été remarquées puis diffusées à l’international. Très vite, les Américains m’ont mis le grappin dessus. Et là, ma vie a changé. »
Le moment fondateur de cette nouvelle vie tient justement à un voyage aux États-Unis. Au début des années 2000, Durieux y tombe sur un vieux magazine des années 30, Fortune, dont la couverture, d’une technicité folle, est signée Antonio Petruccelli. C’est l’épiphanie. Il tombe amoureux du graphisme anglo-saxon de cette époque, marqué par le concept du « streamline », soit cette recherche maniaque d’aérodynamisme, de vitesse et de fluidité. Peu à peu, il y greffe ses propres obsessions créatives, comme le rétrofuturisme et la tradition, très européenne, du papier peint panoramique, ainsi que sa passion pour la bande dessinée indépendante, qu’elle soit issue du pays de l’oncle Sam -Chris Ware, Seth, Crumb- ou du Vieux Continent -Yves Chaland, Moebius, François Schuiten. Le style Durieux est né.
Pirate de l’image
Les éditeurs US, dont bientôt le fameux Mondo, le sollicitent et l’orientent alors vers un champ d’expression bien précis: la création d’affiches alternatives de cinéma. D’emblée, Durieux y fait des merveilles. Son truc? Condenser tout un film en une seule image qui apporte un éclairage original. » Ce qui m’intéresse avant tout, c’est de faire une bonne image, oui. Et d’imprimer une vision personnelle sur l’oeuvre. Il faut toujours que narrativement ce soit juste. Ce ne sont pas que des effets. Il s’agit de développer un autre regard sur un film, plus critique ou plus profond, loin des contraintes imposées par le marketing. Dépasser les clichés vendeurs de l’industrie pour aller dans les tréfonds de l’histoire et en extraire la substantifique moelle. Je veux que mon affiche donne envie aux gens de revoir le film, ou de le découvrir s’ils ne l’ont pas encore vu. Je cherche toujours à composer des images assez challengeantes, qui font réfléchir, où on prend le temps de regarder les choses, où on ne comprend pas forcément tout tout de suite. Comme avec les bons films. Il faut parfois les digérer, y réfléchir, revenir dessus. Les trucs qu’on aime tout de suite, il faut s’en méfier. C’est l’idée qu’il y ait d’abord un plaisir intellectuel, mais ensuite aussi un plaisir esthétique, visuel. Une bonne image, il faut qu’on ait envie de la mettre au mur. »
Reflets dans l’eau, jeux de miroirs, illu signifiante divisée entre ombre et lumière… Il y a chez Laurent Durieux, artiste d’une exigence rare et d’une grande ténacité, un amour infini pour les détails. Comme quand, sur son affiche des Dents de la mer, il intègre le motif de l’aileron du requin tueur sur le parasol d’un vacancier et non dans l’océan au loin. Ou qu’il enferme la tour et les enjeux de Piège de cristal dans un petit globe kitsch de Noël où il neige des billets de banque. » Je me considère vraiment comme un pirate de l’image. J’aime aller prendre des choses à gauche à droite, des influences, me les approprier et les recracher à ma manière. Comme un pirate qui prendrait sa corde et se projetterait sur le bateau de quelqu’un d’autre pour foutre le bordel et faire main basse sur le magot. »
Et les victimes de ses pillages en redemandent! Francis Ford Coppola, Nicolas Winding Refn, Park Chan-wook, Steven Spielberg, Paul Thomas Anderson, Bob Gale… Ils sont tous fans de son travail. » Coppola m’a commandé plusieurs fois des affiches. Il les a même mises sur ses bouteilles de vin (sourire) . Je suis allé le rencontrer en Californie, dans la Napa Valley. J’ai compris à quel point c’était un vrai artiste. C’est un type qui est prêt à se ruiner pour un projet artistique, à tout perdre pour quelque chose qui lui tient à coeur. Des comme lui, aujourd’hui, il n’y en a plus beaucoup. Je crois qu’il se retrouve dans la liberté que je m’octroie dans mon travail, que je conçois en réaction claire à l’ennui graphique et à l’uniformisation esthétique de notre époque. J’ai envie qu’on recommence un peu à rêver à travers une affiche, de réinjecter de l’art dans une tradition qui tend à s’appauvrir dangereusement. »
Mirages. Tout l’art de Laurent Durieux, Éditions Huginn & Muninn, 254 pages.
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